Éloge de la Raison – Charles VAN HEMELRYCK
pour Orchestre d’harmonie
Charles VAN HEMELRYCK
Charles VAN HEMELRYCK (né en 1981) a commencé ses études supérieures musicales à Paris tout en étudiant la philosophie simultanément à la Sorbonne. À l’issue de son parcours au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, il obtient un Master en écriture-composition, un Master de pédagogie musicale ainsi que le Certificat d’Aptitude. Durant ses études au CNSMDL, il bénéficie d’une bourse Erasmus pour effectuer une année de son cursus à l’Académie Sibelius d’Helsinki.
L’œuvre de Charles VAN HEMELRYCK s’est concentrée sur les genres de la musique pour orchestre, de la musique de chambre, vocale, chorale et pour instrument soliste. Sa musique a été jouée en France, en Finlande, en Pologne, aux Pays-Bas et au Canada. En 2015, il est lauréat des bourses du Mécénat Musical Société Générale. Sa pièce Présence, pour chœur mixte, écrite sur un poème de Georges-Emmanuel CLANCIER, a été primée en 2018 au concours de composition VocalEspoo (Finlande). La même année il reçoit une bourse de l’Association Beaumarchais-Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques pour le projet lyrique Mer de tous les maux. En 2019, sa pièce pour chœur mixte A Cradle Song est en finale du concours de composition du chœur du Hendrix College (U.S.), et il reçoit une mention honorable au concours de composition du festival RED NOTE New Music (U.S.) pour sa pièce Présence.

Charles VAN HEMELRYCK puise son inspiration dans la poésie, les idées philosophiques, et le rapport à la nature. Méditer sur le monde, rendre une pensée sensible, émouvoir pour amener une réflexion : tels sont les buts de sa musique. Ses premières œuvres sont principalement inspirées par les conflits de l’âme humaine. En 2019, il réussit le concours de Professeur Territorial d’Enseignement Artistique. Il a enseigné l’écriture, la composition, l’orchestration et l’analyse au CRD de Valence-Romans, l’écriture et l’arrangement à l’ESM de Bourgogne Franche-Comté ainsi que l’orchestration et l’anthropologie de la musique à l’Université de Bourgogne. Il est actuellement professeur au Conservatoire du Pays de Montbéliard.
Éloge de la Raison • Présentation de l’œuvre
Aux sources de l’œuvre
Cette pièce a été inspirée par la lecture du livre du philosophe américain Michael LYNCH, duquel j’ai emprunté le titre[1].
À une époque où les émotions sont considérées quasiment comme une valeur absolue, où parfois l’expression de celles-ci se déchaîne sur les réseaux sociaux, j’ai trouvé que rappeler la valeur de la raison prenait tout son sens.
La raison est une faculté humaine universelle, et qui a vocation à nous rassembler, qui nous permet de rechercher la vérité, et de nous mettre d’accord. L’esprit des Lumières est également convoqué, ainsi que la capacité de la raison à clarifier les pensées, à sa capacité de discernement des émotions, à trouver l’ordre à partir du chaos.
L’idée maîtresse de clarification progressive traverse la pièce, à travers différentes formes. Au-dessus de formes mouvantes culmine une énergie lumineuse, et après un apogée sonnant comme une célébration s’ensuit un mouvement rapide, empreint d’une humeur joyeuse : la joie de comprendre, la joie du partage, la joie du rationnel.
En parcourant la partition
Pour ceux qui en douteraient encore, Charles Van HEMELRYCK est bien un musicien-philosophe (ou l’inverse). Ses œuvres sont assez souvent basées sur une lecture ou une citation philosophique. What Good Shall I Do This Day (« Que dois-je faire de bien aujourd’hui ? »), œuvre que nous avons préalablement présentée, était le rituel matutinal de s’imposait Benjamin FRANKLIN. Les Impressions of 1984 pour soprano et piano (2015) sont inspirées par l’ouvrage de George ORWELL tout comme le quatuor à cordes Citizen of the Universe (2013-2015) est la traduction sensible des réflexions de Bertrand RUSSELL extraites de On the Value of Philosophy (Sur la valeur de la philosophie).
C’est pour cela qu’il faut aborder ses œuvres avec une recherche de profondeur, de spiritualité, dans le sens d’une aspiration à certaines valeurs morales. Il n’est pas indispensable d’être soi-même philosophe ou d’avoir lu (et intégré) la totalité des œuvres de Platon, Aristote, Épicure, Descartes, Spinoza, Sartre ou Russell pour entrer dans sa musique, mais il faut y venir avec un esprit ouvert et ancré.
Pour mieux comprendre l’œuvre, il nous faut revenir sur l’ouvrage de Michael LYNCH. On entend souvent aujourd’hui qu’au fond, la vérité, les faits objectifs n’existent pas, qu’il n’y a pas de points de vue qui soient réellement plus rationnels que d’autres. La raison passe également pour autoritaire et antidémocratique : elle conduirait à l’intolérance, au dogmatisme, au non-respect de la multiplicité des points de vue. Professeur de philosophie à l’université du Connecticut, Michael LYNCH répond aux différents arguments avancés contre la raison – de ceux du scepticisme ancien à ceux du relativisme postmoderne – et soutient qu’elle est précisément ce dont les démocraties ont besoin pour être véritablement démocratiques.
Éloge de la Raison peut paraître comme une musique « tendue », et nous a fait de suite penser à la « Musique des sphères », chère aux platoniciens. Un rapport s’établit d’abord entre ce que j’entends et ce que je vis. Et l’auditeur est plongé dans cette recherche de la lumière explicitement induite dans le premier mouvement. Nous ne pouvons pas exclure dans la musique de Charles VAN HEMELRYCK les recherches musicales passées de Steve REICH (né en 1936) même si toute école est faite pour être dépassée et tout maître inspirant se devra d’être soigneusement effacé pour que l’apprenti suive son propre chemin. Rappelons que Steve REICH fut lui-même diplômé de philosophie. Nous retrouverons dans Éloge de la Raison des séquences de musique minimaliste, répétitive et cyclique dans une volonté de déphasage graduel. Sans être une pale imitation, le langage de Charles VAN HEMELRYCK trouve ses racines dans cette mouvance et celle d’autres maîtres complémentaires que furent Philip GLASS (né en 1937) ou John ADAMS (né en 1947). L’esthétique de ses dernières œuvres s’inscrivent dans une logique postminimaliste.
Une phrase écrite par le compositeur pour présenter une de ses toutes dernières créations, Vers le soleil (2024-2025) concerto pour cor et orchestre [deux versions : 1°. orchestre à vents, 2°. orchestre symphonique] pourrait être notée en exergue, à l’usage du chef d’orchestre : « Depuis quelques années, je suis passionné par les sujets artistiques reposant sur des émotions positives, sur des états mentaux enthousiastes ou paisibles, d’une dynamique enjouée ou rayonnante ».
Il nous semble que cette attirance vers le positif et la lumière apollonienne est déjà la trame d’Éloge de la Raison (2022). Quatre mouvements enchaînés engagent ce postulat.
Les premières mesures, reposant sur des superpositions de quinte constituant des accords polytonals, avec un ostinato rythmique au vibraphone, impose très progressivement la tonalité de sib Majeur dans un mouvement Moderato (noire = 100). Une lente évolution se fait sur 72 mesures sans que ne prédomine un thème mélodique précis. Le titre du mouvement en dit l’intention : « Vers la lumière » et l’on se retrouve ici dans l’allégorie de la Caverne de PLATON. Des accords-appogiatures plaquent des dissonances qui se résolvent voix par voix, créant des effets de clarification harmonique. Le second mouvement (mesures 73 à 127) se déclame sous l’apostrophe « Vivant » avec une légère accélération du tempo dans une tonalité éclairante de do Majeur qui s’apaise. Un long thème mélodique au saxophone baryton, doublé ensuite par une partie de clarinettes engendre un premier climax, avec une texture polyrythmique dans l’arrière-plan. Les cuivres font briller cette période, avant que l’on arrive au troisième mouvement « Intérieur et doux » (noire = 50). L’ambiance est apaisée (entre 126 et 146), devient large et profonde (mesures 147 et suivantes) : c’est sans doute ici le cœur de la pièce entière, où l’orchestration vise une grande densité du son, et où l’harmonie déroule une progression « grave ». Le second climax de la pièce culmine à la mesure 171, avant qu’un accelerando irrégulier, évoquant des sonneries de cloches d’église, fasse évoluer la pulsation à 90 puis 100 à la noire. Les carrures métriques sont mouvantes (2/4, 4/4 , 5/4, 3/4) mêlant binaire et ternaire, sans être rompues ou cassantes. L’effet recherché trouve son épanouissement dans le quatrième et dernier mouvement « Dynamique et enjoué » (de la mesure 231 à la fin). Sur une rythmique implacable, les alternances des mesures à 2/4 et 3/4 ne sont pas sans rappeler les accidents qui ont précédé bien qu’elles établissent une cellule 2/4 + 3/4 = 5/4. Et c’est sur ce thème « enjoué » que s’expose le finale dans un moderato allègre. À noter que les dernières mesures restent en suspension, à la manière de Philip GLASS dans Glassworks : Opening. Sans doute que la suite de l’œuvre, s’il devait y en avoir une, appartient au libre arbitre de l’auditeur.
L’œuvre a des aspects très intéressants pour un public qui mérite d’être averti. L’invitation lui est faite de franchir la porte de l’indécision pour atteindre celle, sinon de la certitude, celle de la Raison comme porteuse d’une sagesse voire d’un antidote aux environnements anxiogènes, et pour entrer dans « la joie de comprendre, la joie du partage, la joie du rationnel » comme l’écrit le compositeur.
L’orchestre doit particulièrement s’investir dans la durée de cette pièce, sans rien relâcher, y compris lorsqu’il faut compter ses mesures. Ce en quoi c’est une pièce exigeante, non pas pour ses aspects purement techniques que tous les bon orchestres savent relever, mais pour cette tension permanente sur une durée de plus de 10 minutes. Les polyrythmies, les longues notes tenues par divers pupitres représentent les plus grandes difficultés de la pièce. Elles demandent en effet une grande concentration sur le maintien d’une pulsation stable d’une part, et arriver à investir et faire vivre le son même lorsqu’il est « immobile ». Enfin, pour le chef d’orchestre nous lui recommandons de travailler scrupuleusement son conducteur et la clarté de sa gestique pour que les cassures rythmiques n’en soient pas. Nous conseillons vivement cette œuvre qui porte un langage sinon d’avant-garde, mais au moins novateur, peu commun et qui donne à l’orchestre d’harmonie une occasion de montrer sa polyvalence, son talent et sa transparence.
Focus présenté par Patrick PÉRONNET,
docteur en Musicologie, septembre 2025
Création :
Commanditaire : Orchestre d’Harmonie de Tournon-Tain
Date : 10 décembre 2022
Lieu : Collégiale de Tournon-sur-Rhône (Ardèche)
Chef et orchestre : Orchestre d’Harmonie de Tournon-Tain, sous la direction de Florent POMMARET.
Partition :
Titre : Éloge de la Raison
Pour : Orchestre d’harmonie
Durée : 10’50
Niveau : Difficile
Édition : contacter Charles VAN HEMELRYCK directement pour obtenir le conducteur et les parties séparées : https://charlesvanhemelryck.fr/contact
Enregistrement réalisé le samedi 10 décembre 2022 à la Collégiale Saint Julien de Tournon sur Rhône, en présence du Compositeur, par l’Orchestre d’Harmonie Tournon-Tain est dirigé par Florent POMMARET
Nous recommandons la lecture de la réponse que Charles VAN HEMELRYCK donne à la question « Pourquoi écrire de la musique en 2015 ? Questions à sept jeunes compositeurs » dossier coordonné en avril 2015 par Alain COCHARD pour concertclassique.com
[1] Michael LYNCH, Éloge de la Raison, pourquoi la rationalité est importante pour la démocratie, traduit de l’anglais par Benoît Gaultier, 2018, Marseille, éditions Agone, collection Banc d’essai, 218 p.