Sound, Military Music, and Opera in Egypt – Adam MESTYAN
Adam MESTYAN
MESTYAN, Adam. Sound, Military Music, and Opera in Egypt
during the Rule of Mehmet Ali Pasha (r. 1805-1848)
Ottoman Empire and European Theatre Vol. II
Éditions : Hollitzer
Date de publication : 2014
Nombre de pages : 25
ISBN 978-3-99012-069-9
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Voici une étude comme nous aimerions en lire plus souvent. Adam Mestyan aborde ici le sujet des influences musicales entre Europe et Orient au début du XIXe siècle. Sa connaissance érudite de l’histoire culturelle égyptienne des XIXe et XXe siècles et la recherche des éléments montrant l’existence d’un métissage ou son absence sont une belle démonstration de ce que l’historien peut montrer des rapports entre Orient et Occident, à une époque où le colonialisme dénoncé devient sujet de revendications nationales et nationalistes.
Nul n’ignore que l’Égypte sémite fut soumise à bien des occupations au long de son histoire. Le monde pharaonique fut déjà envahi par les occupations grecques d’Alexandre le Grand et des Ptolémée puis de Rome et de Byzance. La longue occupation ottomane fut contestée au XVIIIe siècle par les Anglais puis les Français. Le retour d’une domination ottomane mêle turcs et albanais au pouvoir au XIXe siècle et le sentiment national, s’affranchissant des dominations militaires et culturelles ne date que de la 2e moitié du XXe siècle. Qu’est-ce dès lors qu’une culture nationale, voire une musique nationale égyptienne ?
La volonté politique d’une occidentalisation pour le cas égyptien fut pourvoyeuse d’échanges économiques et d’apports militaires y compris en musique. C’est à travers ce prisme qu’Adam Mestyan essaie de tracer les apports de la musique européenne sur les bords du Nil.
Nous pourrions, dans un phénomène miroir nous interroger sur les apports de la musique égyptienne ou orientale sur la musique européenne. En dehors de quelques rares réussites, sa part fut longtemps considérée comme un élément pittoresque, un décor musical pour des rêves d’Orient. Ce ne sont pas les rares mélodies arabisantes d’Henri-Jean Rigel (1772-1852), musicien de l’Académie d’Égypte, fondée par Bonaparte lors de l’occupation française, qui produisirent un engouement pour cette musique d’un ailleurs fantasmé. Peut-être trouve-t-on chez Félicien David (1810-1876) des emprunts plus sincères (dans son ode-symphonique Le Désert de 1844 notamment), et il faut attendre Camille Saint-Saëns (1835-1921) pour repérer vraiment la mélodie orientale et ses tonalités et accents particuliers. Mais lorsque le pouvoir égyptien veut célébrer sa puissance, il recourt, en musique à des emprunts bien étranges. Le cas d’Aïda (1871) de Giuseppe Verdi (1813-1901) lors de l’inauguration du canal de Suez n’est autre qu’une musique d’Occident (italienne au demeurant) qui s’interprète aux pieds des pyramides.
Le transfert récent (3 avril 2021) des 22 momies des rois et reines d’Égypte pour les installer dans le nouveau Musée national de la civilisation égyptienne (NMEC) a donné lieu à la Parade dorée des Pharaons (ou Parade des momies royales) : coups de canon, figurants en costume, danseurs, garde montée ont animé un spectacle tourné à la fois vers l’étranger et vers le peuple égyptien. L’étrangeté de ce « défilé des pharaons » aux vertus publicitaires et politiques évidentes demandait un lien musical, un « raccord son » pour des images, des plans séquences permettant aux téléspectateurs du monde entier de suivre un show médiatique de grande ampleur, sans s’appesantir sur une attente de plus d’une demi-heure, le temps du transport des momies. S’il fut impossible d’entendre les cent-cinquante musiciens et cent-cinquante percussionnistes militaires du ministère de la Défense, l’orchestre symphonique a tracé le voyage. Certes les interventions de la flûte ney et des darboukas ou des chants rappelaient la musique populaire et la grande voix d’Oum Kalthoum (1878-1975), mais la musique « holywoodienne » interprétée par l’orchestre symphonique était une belle démonstration d’un universalisme musical et d’un cosmopolitisme haï des nationalistes de tous bords.
— Patrick PÉRONNET
En 1826, Hasan Ahmad Ramadan, un soldat égyptien ordinaire, a étudié la musique européenne dans l’une des écoles militaires d’Égypte. Comment fut-il éduqué en musique ? Quelle est la signification historique de son expérience ?
À partir de cette expérience individuelle, Adam Mestyan examine la musique militaire égyptienne dans le cadre du « nouvel ordre » et de la création d’écoles scientifiques et techniques marquant le règne de Mehmet Ali Pacha (c.1769–1849, r.1805–1848), le turcophone gouverneur ottoman. Turcs, italiens, français, espagnols et allemands sont invités à enseigner aux musiciens-soldats Egyptiens des styles musicaux militaires.
Cette étude comprend un effort préliminaire pour clarifier l’histoire des sept écoles de musique intégrées aux premiers camps de l’armée égyptienne. Les Européens (commerçants, banquiers ou administrateurs) résidant en Égypte ont commencé à organiser leurs propres divertissements au milieu des années 1820, ce qui offre d’autres occasions pour les élites locales de se joindre à des événements musicaux.
La musique d’Europe occidentale est restée isolée de la vie quotidienne des Égyptiens ordinaires. Pourtant, la fanfare militaire est devenue un élément important de la représentation officielle de l’État. En conséquence, un écart grandissant entre la musique non officielle et la musique officielle s’inscrivait dans le fondement de l’État moderne en Égypte.
Dès l’occupation française de l’Égypte (1798-1801), la musique militaire a été utilisée pour les cérémonies et les divertissements. Ensuite, au moins sept écoles de musique militaire ont existé dans les années 1820 et 1830. Le plan de formation repéré par J. Heyworth-Dunne (An introduction to the history of education in modern Egypt, Frank Cass & Co., Londres, 1939, rééd. 1968) sous le règne de Mehmet Ali, présente un système « pour se rapprocher le plus possible du modèle européen ».
Cependant, la musique régimentaire égyptienne n’était pas une invention européenne mais aussi ottomane, outil de discipline et porteuse d’un cérémonial. Le mehter, musique des Janissaires, avait également été associé à la personne du « chef de guerre ». Dans les premières écoles de musique, les directeurs étaient des Turcs ottomans, et eux ont continué à enseigner cette tradition, mais les musiciens militaires d’Europe occidentale, occupaient des positions plus élevées. Néanmoins, l’enseignement imposé de la musique d’Europe occidentale a également été critiqué, à l’époque, notamment par Antoine Barthélémy Clot, dit Clot-Bey (1793-1868) médecin français qui influença l’entourage de Mehmet Ali et qui pensait qu ’« il aurait été plus raisonnable d’appeler en Egypte des musiciens talentueux qui auraient pu comprendre et s’approprier l’esprit de la musique arabe » que de s’en remettre aux musiciens européens obtus et peu perméables à la culture populaire alors que dans la première moitié du XIXe siècle on assiste, en Égypte, à l’éclosion du dawr (ou dour) genre de musique vocale chantée en arabe régional ou familier.
Sous le règne de Mehmet Ali, les communautés résidentes d’Europe occidentale étaient capables de mettre en scène leurs propres divertissements notamment en important des opéras européens. Auparavant isolés et privés ces spectacles sont devenues accessibles à la nouvelle élite égyptienne ottomane. De plus, la musique militaire a progressivement constitué un élément du répertoire symbolique entourant le pacha, depuis le début des années 1830, les fanfares militaires participant à des rituels d’État dans lequel figurait la personne de Mehmet Ali. La musique militaire européenne a établi un marqueur clair de l’administration en Égypte et inscrit dans les débuts de l’État égyptien moderne un fossé entre divertissement égyptien quotidien et musique officielle.
Adam MESTYAN est professeur assistant en histoire à l’université Duke (Université de recherche privée nord-américaine, située à Durham en Caroline du Nord). Il a enseigné à l’université d’Oxford et a bénéficié de plusieurs bourses, notamment de la part de la Society of Fellows de l’université Harvard. Il est diplômé de l’Université d’Europe centrale et de l’Université Loránd Eötvös (Budapest).
Son dernier ouvrage, Arab Patriotism: The Ideology and Culture of Power in Late Ottoman Egypt (Princeton, 2017), explore la construction de l’Égypte moderne à travers une histoire sociale des institutions, des théâtres musicaux et de la presse arabe dans le contexte de l’Empire ottoman tardif.