
En quête du quintette : genèse et premiers pas des quintuors à vent d’Antoine Reicha – Patrick PERONNET

PERONNET Patrick, En quête du quintette: genèse et premiers pas des quintuors à vent d’Antoine Reicha
Éditions : Le Quintette à vent des origines à la floraison du genre, ouv. coll. ss la dir. de Denis Le Touzé & Emmanuel Reibel, Lyon, Symétrie, coll. État de l’art, série Musique de chambre
Date de publication : 2023
Nombre de pages : p. 29-45
Présentation
Né plus tardivement que le quatuor à cordes, après les instrumentations foisonnantes de la musique de chambre pour harmonie de la fin du XVIIIe siècle, le quintette à vents offre, par la richesse de ses timbres et l’amplitude des tessitures, un éventail de possibilités de traitement pour l’instrumentiste ou le compositeur. Cet ensemble de cinq instruments pourtant bien connu des musiciens – composé, rappelons-le, d’une flûte, un hautbois, une clarinette, un cor et un basson – est moins familier des mélomanes que le quatuor à cordes ou le duo piano-violon. Les œuvres pour cette formation sont nombreuses : cet ouvrage mentionne ainsi celles de Ropartz, Nielsen, Schmitt, Schoenberg, Milhaud, Hindemith, Carter et s’attarde plus particulièrement sur celles de Reicha et Ligeti.
Les auteurs de cet ouvrage collectif retracent l’essor du quintette à vent en se focalisant sur les points clefs de son histoire, sur les mutations des genres à travers les époques. Ils s’appuient notamment sur plusieurs pièces et enregistrements du XXe siècle. Un entretien avec Gilles Silvestrini et Sergio Menozzi, compositeurs contemporains, apporte pour conclure l’ouvrage un regard actuel et ouvert sur le monde, une manière de nous dire que cette formation semble encore promise à un bel avenir.
Si la série des quintuors pour instruments à vent d’Antonin Reicha[1], composés entre 1811 et 1820, signe la naissance d’un genre, un faisceau d’éléments divers permit d’aboutir à sa création.
C’est au XVIIIe siècle que les premières Pièces d’Harmonie se diffusent en Europe. De la Tafelmusik à l’harmonie « de chambre », les compositeurs accompagnent l’évolution de la facture instrumentale des vents et répondent à la demande d’esthètes mécènes qui expriment, en ce genre, un goût, à la fois pour le faste et un naturalisme artificiel. Il y a dans l’usage des instruments à vent une imagerie champêtre, qu’illustrent, en France, en d’autres domaines des arts les peintures de Boucher, le goût du jardin anglais et les bergeries du Hameau de la Reine à Versailles.
Dans un temps parallèle, l’essaimage de la franc-maçonnerie impose un usage de la colonne d’harmonie. Volontaire ou inconscient, l’équilibre des instruments à vent en deux voix (en deux colonnes) contribue à la double présence des bois et des cors dans l’orchestre de symphonie ou de théâtre. En cela, Gossec contribue fortement à ce nouveau « système ». Les quatuors, sextuors, octuors ou dixtuors sont porteurs de l’équilibre et de l’harmonie chers aux francs-musiciens.
Mais la période révolutionnaire, usant en masse d’instruments militaires pour la défense de la patrie, rompt, en France, cette image paisible ou équilibrée. Le hautbois pastoral laisse la place aux trompettes triomphantes. La création de l’Institut de Musique, qui deviendra ultérieurement, le Conservatoire, répond à cette demande de la nation : une école de musique à vocation militaire. L’Empire consacrera ce fait, les instruments à vent fournissant les effectifs musicaux des fêtes bottées. C’est pour cet usage qu’Antonin Reicha, installé à Paris depuis 1808, compose la Musique pour célébrer la mémoire des grands hommes, qui sont illustrés au service de la Nation française pour musique militaire (ca 1809-1815).
Avec la Restauration, la mission du Conservatoire ne peut être que pacifique. La démilitarisation de la société signe la rupture avec la formation des musiciens à vent dans un but utilitaire. Il n’est plus question de former les musiciens militaires, mais de faire du Conservatoire un établissement d’études supérieures tourné vers l’art lyrique et théâtral, et seulement lui. Les armées recrutent des musiciens formés et rétribués pour leurs services ponctuels, les gagistes, mais tous sont installés dans les formations instrumentales stables, orchestres lyriques ou sociétés de concert.
C’est dans ce contexte que Reicha aborde un genre nouveau. Les sensibles améliorations de la facture instrumentale et de l’enseignement donnent un usage possible des instruments à vent en soliste. La mode du quintette pour cordes appuyée par un retour massif des musiques de salon sont autant de facteurs qui peuvent contribuer à l’émergence du « quintuor » à vent. Si Reicha n’est pas seul à imaginer le genre, sa production et son exemple influenceront profondément ses successeurs. L’adéquation avec des instrumentistes brillants, eux-mêmes en recherche de « célébrité » et de reconnaissance (y compris financière), garantit la naissance d’un genre original, très « parisien », modestement développé par ses contemporains et élèves jusqu’au milieu du XIXe siècle, mais qui saura conquérir l’Europe : associer cinq instruments aux timbres singuliers pour créer le quintette à vent.
[1] « […] compositions intéressantes, mais un peu froides » écrit Berlioz dans ses Mémoires.
L’auteur
Patrick Péronnet (né en 1959) est professeur certifié « hors classe » d’Histoire (ER). Docteur en Musicologie de l’Université Paris IV Sorbonne, il est un spécialiste de l’histoire des ensembles d’instruments à vent aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles (répertoires, organologie, implications politiques et sociales). Membre associé de l’IReMus (UMR 8223 CNRS – BnF) depuis 2016, il a reçu le Fritz-Thelen-Preis 2014 de l’Internationale Gesellschaft zur Erforschung unf Förderung der Blasmusik (IGEB) et a enseigné l’Histoire des Arts au Centre d’Etudes Pédagogiques pour l’Expérimentation et le Conseil (CEPEC) de Lyon. Il a été aussi chef d’orchestre, compositeur et arrangeur.
Hors sa thèse (Les Enfants d’Apollon. Les ensembles d’instruments à vent en France de 1700 à 1914), il est auteur de publications universitaires touchant les ensembles d’instruments à vent, la musique romantique, l’enseignement et la transmission des savoirs musicaux, les rapports entre musique et pouvoir (politique ou religieux) et ceux entre musique et nation.