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Les mondes de l’harmonie – Vincent DUBOIS, Jean-Matthieu MÉON et Emmanuel PIERRU

Les mondes de l’harmonie – Vincent DUBOIS, Jean-Matthieu MÉON et Emmanuel PIERRU

Les mondes de l'harmonie
Enquête sur une pratique musicale amateur

DUBOIS Vincent, MÉON Jean-Matthieu et PIERRU Emmanuel. Les mondes de l’harmonie. Une enquête sur une pratique musicale amateur.

Éditions : La Dispute
Date de publication : 2009
Nombre de pages : 305
ISBN 978-2843031496

Lire → Les mondes de l’harmonie. Enquête sur une pratique musicale amateur – Vincent DUBOIS, Jean-Matthieu MÉON et Emmanuel PIERRU

Présentation

Laisser aux sociologues et à leurs méthodes propres l’occasion de s’intéresser aux « musiques d’harmonie », c’est ouvrir la porte à l’interdisciplinarité universitaire devenue aujourd’hui l’objet pertinent de la recherche.

Il paraît évident à la lecture de cet ouvrage fondamental pour les chercheurs s’intéressant aux ensembles d’instruments à vent de la nécessité d’une convocation de sciences diverses pour tenter de cerner ce phénomène culturel et social. L’Histoire de la musique peut en être le premier élément. Fondateur elle impose une construction plus chronologique que thématique et reste assez facile à explorer lorsque l’accessibilité aux archives complète les ouvrages fondamentaux écrits depuis le XIXe siècle sur le sujet (nous pensons aux travaux de Georges KASTNER, d’Oscar COMETTANT, de Constant PIERRE, de Julien TIERSOT et de leurs successeurs).

L’autre discipline immédiatement convocable devrait être la musicologie. Hélas, il y a là un retard considérable en France. Rares sont les chercheurs à avoir fait avancer ce sujet depuis ses origines. Le fossé est loin d’être comblé entre ce qui est et ce qui pourrait être. Sans doute, par ordre d’importance faut-il alors convoquer la sociologie comme le troisième et indispensable élément pour éclairer le monde des harmonies. Peu d’enquêtes sociologiques ont été menées jusqu’à présent sur ce seul objet. Nous nous permettons de citer ici Étienne JARDIN qui fait de l’ouvrage une présentation éclairante.

« L’initiative de cette recherche est néanmoins à mettre au crédit d’une institution située en dehors du champ de la recherche : la Fédération des sociétés de musique d’Alsace5, qui a chargé en 2003 l’Observatoire des politiques culturelles6 de piloter une étude sur les orchestres d’harmonie de sa région. La commande – que l’on imagine dictée par un besoin de mieux connaître une réalité locale difficilement abordable – a donné lieu à une enquête menée en 2004 et 2005. Les données statistiques recueillies sont issues de questionnaires adressés aux musiciens d’harmonie (578) et aux personnels encadrant les orchestres (219 directeurs ou présidents) ; vingt-cinq entretiens réalisés et trois monographies d’orchestres permettent d’affiner et d’illustrer les résultats obtenus. Le résultat est un livre captivant proposant une grille de lecture pour aborder les orchestres d’harmonie, appelée certainement à être réutilisée par les chercheurs qui voudront se pencher sur ce type de structure ».⁽︎¹︎⁾︎

Nous osons penser que les travaux de recherche du XXIe siècle vont affluer vers notre objet d’étude. Qu’il nous soit permis ici de saluer le dynamisme de la Fédération des Sociétés Musicales d’Alsace (CMF) qui, soutenue par la région Alsace, eut l’heureuse idée d’être commanditaire de cette enquête et de laisser deux autres ouvrages pertinents : Harmonies 2000 une pratique musicale pour le 3e millénaire⁽︎²︎⁾︎ et Diriger un ensemble amateur en 2008 enjeux et perspectives⁽︎³︎⁾︎.  Nous ne pourrons mieux faire que de présenter ces deux publications dans les mois prochains.

— Patrick PÉRONNET

⁽︎¹︎⁾︎ JARDIN Étienne, « Vincent Dubois, Jean-Matthieu Méon et Emmanuel Pierru, Les Mondes de l’harmonie. Enquête sur une pratique musicale amateur », Transposition, 3 | 2013, mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 22 septembre 2020.

⁽︎²︎⁾︎ Harmonies 2000, une pratique musicale pour le 3e millénaire, ouvrage collectif contenant de nombreux témoignages des acteurs de la musique pour ensemble à vent 174 pages.

⁽︎³︎⁾︎ Diriger un ensemble amateur en 2008 enjeux et perspectives, synthèse des actes du colloque organisé le 11 octobre 2008 à la Maison de la Région Alsace à Strasbourg augmentée de quelques éléments de réflexion complémentaires.

Résumé par Jean-Pierre HIRSCH

Les sociologues Vincent DUBOIS, Jean-Matthieu MÉON, et Emmanuel PIERRU exposent dans un livre paru récemment les résultats d’une longue enquête menée en Alsace et portant sur les « harmonies », ces orchestres symphoniques amateurs, privés de leurs cordes, mais non de leurs bois, comme le sont les fanfares.

La démarche employée constitue le premier intérêt de l’ouvrage : les auteurs mobilisent une large palette de la « boîte à outils » du sociologue (l’analyse statistique, l’observation directe, l’entretien semi-directif) pour cerner leur objet.

Un premier corpus obtenu par un questionnaire qui a suscité la réponse de 578 pratiquants permet une étude statistique des pratiques culturelles et des positions sociales des enquêtés.

Une deuxième enquête auprès des présidents et dirigeants de 279 sociétés a permis, grâce à une analyse des correspondances multiples, de retenir les trois sites qui présentaient le plus d’écarts en matière de population agglomérée, de nombre de musiciens, d’éloignement par rapport à la grande ville. Dans chacune des trois harmonies implantées respectivement en milieu rural, péri-urbain et dans une petite ville, l’enquêteur a procédé à l’observation des événements qui, entre 2004 et 2005, ont marqué la vie des associations : la répétition, le concert, le concours intersociétés, la cérémonie civique du 14 juillet, ainsi que les moments de convivialité comme les fêtes annuelles. 25 entretiens non directifs avec des volontaires, simples pratiquants, présidents, directeurs d’harmonie, sont complétés par 20 autres de responsables politiques, présidents d’associations.

Les auteurs, bien qu’ils évoquent peu la question, ont été confrontés à une difficulté classique de l’enquête en milieu populaire en Alsace, surtout rurale, qui est celle de la langue : comment saisir « ce qui se passe », alors que la sociabilité se fait en dialecte que l’on ne comprend pas ?

Entre 1850 et 1914, les sociétés de musique ont permis à la petite bourgeoisie de diffuser auprès des auditeurs populaires la haute culture musicale et d’établir un contrôle social sur les jeunes de classes populaires. Au moment de l’enquête, ce n’est plus là la fonction des harmonies. La fonction d’intégration sociale a été récupérée par le rap ou le reggae ; la musique d’harmonie n’a pas la « beauté du mort » des musiques ethniques vouées à la disparition. Ses airs constituent une culture savante dégradée, des œuvres mineures de grands musiciens, de grands airs réécrits auxquels s’ajoutent, dans un éclectisme ouvert, des musiques de films et des marches militaires. Elle est devenue un monde refermé sur une activité entre-soi, le recrutement se faisant à l’intérieur des mêmes familles. Elle constitue un art populaire dont les critères esthétiques sont différents de ceux de l’art savant. Il existe une hiérarchie des valeurs, établie chaque année à l’occasion des concours inter-sociétés ; mais elle est interne au monde de l’harmonie, et les critères esthétiques sont différents de ceux de l’art savant : la musique d’harmonie n’est jamais mentionnée par les traités de musicologie. La fonction esthétique cède le pas devant le rôle civique : la musique d’harmonie est chargée de donner la solennité nécessaire aux cérémonies officielles du 14 juillet, du 11 novembre, de la fête des aînés. La décoration décernée à l’ancien, qui joue faux mais qui depuis trente ans n’a manqué aucune répétition, aucune cérémonie, récompense le citoyen plutôt que l’artiste. Car le but de l’harmonie est de produire une œuvre commune de gens qui ont des capacités musicales inégales. Le monde de l’harmonie devient une culture d’à côté, insulaire, un syncrétisme du politique, du religieux, du culturel.

La composition sociale des ensembles est moins ouvrier qu’on ne pourrait s’y attendre. La grande majorité des musiciens appartient aux professions intermédiaires. Mais leurs origines sont populaires : bien qu’ils soient en ascension sociale, les musiciens interrogés restent attachés au milieu rural et aux formes de loisir populaire, comme la télévision ; en fait, la présence dans une harmonie, par les horaires qu’il impose, est une forme de loisir exclusif. Et si ces membres en ascension s’intéressent à des œuvres musicales d’un niveau plus élevé, comme le classique ou le jazz, c’est par bonne volonté culturelle, pour s’ouvrir aux nouvelles pièces étudiées.

Cependant, les clivages qui apparaissent dans l’enquête révèlent les mutations en cours ; plus l’on est jeune, plus on est diplômé, plus on a commencé sa formation musicale à un âge plus tendre, en-dehors du cadre villageois, plus on a de chance d’être une femme. Et c’est cette tension entre préservation et rénovation qui traitée dans la dernière partie de l’ouvrage : révélée par les difficultés du recrutement, elle correspond en fait à une mutation de la culture populaire. L’insécurité de l’emploi, le travail hors de la commune, l’instabilité des horaires, rendent difficiles les engagements associatifs. Mais surtout l’entre-soi culturel est mis à mal par le regard que portent les néo-ruraux et aussi les propres enfants, qui ont acquis en ville des goûts musicaux plus légitimes : « La déstructuration du monde rural et de l’espace villageois n’a ainsi pas seulement affecté les conditions pratiques de l’activité des orchestres qui y sont implantés ; elle a aussi affaibli les formes de protection atténuant les effets de la domination culturelle ». Celle ci touche davantage les moins démunis scolairement et ceux qui ont côtoyé la musique savante par la fréquentation d’un Conservatoire. Mais, lorsque, dans un mouvement d’ouverture, impulsée par les institutions départementales, au champ musical légitime, « le sociétaire fait place au musicien », sous la direction de professionnels de la musique, les anciens sont mal à l’aise : selon eux, dès que la recherche de la qualité l’emporte, l’ambiance disparaît. Tout comme à l’occasion de la fin des corps de pompiers locaux ou de l’engagement de joueurs-entraîneurs de football salariés, la recherche de l’efficacité dévalue le dévouement et la camaraderie.

— HIRSCH Jean-Pierre, Revue d’Alsace, 136 | 2010, 478-480.

Les auteurs

Vincent DUBOIS, sociologue et politiste, est membre du laboratoire SAGE et professeur à l’Institut d’études politiques de l’Université de Strasbourg. Membre honoraire de l’Institut universitaire de France (2007-2012), membre Florence Gould de l’Insitute for advanced study à Princeton (USA) pour l’année universitaire 2012-2013, il a reçu la médaille de bronze du CNRS en 2001. Ses recherches portent sur la sociologie et les politiques de la culture, les politiques linguistiques, le traitement public de la misère et plus généralement sur la sociologie de l’action publique. Il dirige à l’Institut d’études politiques le master mention Science politique, qui regroupe la spécialité « Politique et gestion de la culture » qu’il a créée et la spécialité « Sciences sociales du politique » dont il est responsable. Il est également vice-président de l’Université de Strasbourg délégué à la culture et codirecteur de la revue Sociétés contemporaines.

Jean-Matthieu MÉON est Docteur en science politique (Strasbourg 3, 2003). Maître de conférences à l’Université de Metz (en 2009), membre du Groupe de sociologie politique européenne et professeur à l’Institut d’études politiques de Strasbourg (en 2002).

Emmanuel PIERRU est docteur en science politique (Amiens, 2003). – Sociologue, chargé de recherche au CNRS et membre du Centre de recherches administratives politiques et sociales (CERAPS), Université de Lille II. Ses domaines de recherche portent sur la sociologie politique du chômage, et de la précarité, les mouvements sociaux, ainsi que sur la sociologie des pratiques culturelles.