Religion, fanfare et politique à Charquemont (Doubs) – Vincent PETIT
Vincent PETIT
PETIT, Vincent. Religion, fanfare et politique à Charquemont (Doubs).
Éditions : Ethnologie française
Date de publication : 2004
Nombre de pages : 27
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Dans la suite de son ouvrage consacré aux sociétés musicales du Haut-Doubs horloger dont nous avons déjà eu l’occasion de rendre compte, Vincent PETIT nous offre une occasion de s’intéresser aux éléments sociologiques de ce que purent être les sociétés musicales et leurs implications politico-religieuses au temps de la Troisième République naissante.
La réflexion de l’Auteur débute par une réaction à l’interdiction de La Marseillaise en 1882⁽︎1⁾︎ par le curé du village de Charquemont. L’événement se situe entre Clochemerle et le conflit Peppone / Don Camillo transposé dans ce charmant village du Doubs.
Dans la droite ligne de Maurice AGULHON et de ses études sur le fait républicain en France, Vincent PETIT interroge l’instrumentalisation de la société de musique de Charquemont dans le conflit local qui oppose catholicisme et républicanisme, revenant sur l’histoire du XIXe siècle et de la rupture fondamentale que fut la Révolution française.
L’étude de la société de musique comme forme de sociabilité villageoise est particulièrement intéressante. Elle montre ce que peut être alors une « petite patrie », son chauvinisme et son repli, tout en incarnant une forme d’émancipation par la pratique orphéonique de la musique.
Bien qu’issue d’une forme laïque puisqu’héritière de la Musique des Gardes nationales locales, la Société de musique de Charquemont est aussi influencée par l’église catholique, s’insérant progressivement dans les structures paroissiales. Elle est la musique du maire et du curé entre 1830 et 1870.
Mais l’instauration de la République et la présence d’élus républicains radicaux provoque un divorce, une scission entre la société musicale et le politico-religieux. La naissance de la Fanfare démocratique ou Musique républicaine de Charquemont est le fruit de cette rupture.
Le travail monographique de Vincent PETIT a le grand avantage de pouvoir servir de modèle à nombre de sociétés musicales anciennes qui eurent à trancher entre Marianne ou la Saint Vierge, le 14 juillet ou le 15 août. Ce phénomène politique a touché de plein fouet le mouvement musical amateur des harmonies et fanfares.
À l’énoncé des noms de sociétés anciennes, il y a la trace, parfois, de « ceux qui croyaient au ciel » et de « ceux qui n’y croyaient pas ». Le phénomène s’est incarné ultérieurement dans les Fédérations représentatives et il fut parfois tellement violent qu’il en reste une écume de rancunes en ce début de XXIe siècle, bien que depuis plus d’un siècle la loi d’association (1901) se doit d’être évidemment apolitique et respectueuse de toute forme de pensée et qu’elle est doublée d’une loi de séparation de l’Église et de l’État (1905).
— Patrick PÉRONNET
⁽︎1⁾︎ Lire ce que nous avons pu écrire sur ce sujet PÉRONNET Patrick, L’avènement d’un hymne national, enjeux politiques autour de La Marseillaise sous la Troisième République (1878-1879)
Peu avant le 14 juillet 1882, le curé du village de Charquemont interdit aux musiciens de la fanfare d’interpréter la Marseillaise, l’hymne national depuis près de deux ans. Quelques-uns lui signifient leur mécontentement et fondent une société rivale, la “Démocrate” : dès lors s’opposent ce que la tradition locale nomme la “musique sacrée”, celle des “blancs” catholiques, et la “sacrée musique”, celle des “rouges” anticléricaux. Les faits sont connus et exemplaires de ce que Maurice AGULHON appelle la “politisation-bipartition “.
Mais, ainsi résumés, ils n’épuisent pas nos interrogations : pourquoi la division de la société de musique s’observe-t-elle à Charquemont et pas dans les bourgs voisins ? Pourquoi le curé du village exerce-t-il la direction de la société de musique et qui lui conteste cette position ?
Loin de n’exprimer que des clivages caricaturaux, les conditions de cette bipartition offrent l’occasion d’éclairer l’équilibre interne des communautés rurales du xixe siècle travaillées par l’industrialisation, la politisation et l’anticléricalisme. L’étude du contexte politique, religieux et social propre à Charquemont, bourg horloger frontalier avec la Suisse, permet de comprendre l’importance de cette forme de sociabilité et de cette structure de médiation culturelle que constitue la société de musique du village, et ainsi de replacer cet événement au cœur d’un enjeu plus vaste, qui déborde largement la simple anecdote.
Vincent PETIT est professeur agrégé en histoire contemporaine, titulaire d’un doctorat en histoire contemporaine aux universités Paris I Panthéon-Sorbonne et de Fribourg, avec pour thèse « Église et Nation » dirigée par Philippe BOUTRY et Francis PYTHON (2008).
Spécialiste du régionalisme franc comtois et du Haut-Doubs et en histoire religieuse des xixe siècle et xxe siècle dans une perspective culturelle et politique, il étudie la liturgie catholique et la confrontation entre pratiques sociales (politisation, sécularisation, justice, dynamiques associatives) et les sciences religieuses (ecclésiologie, théologie morale catholique, droit canon, morale).