Bérengère (cantate) – Benoît MENUT
pour 4 comédiennes, chœurs d’adultes et de jeunes et orchestre d’harmonie
De l’énergie en sons, portée par du sens.
C’est ainsi que Benoît MENUT aime à définir son travail. Passionné par le monde infini des couleurs instrumentales et orchestrales autant que par le lien étroit entre musique et mots, ces derniers étant, pour lui, une source d’inspiration permanente.
Pour la scène, il écrit Fando et Lis (2018), d’après Fernando ARRABAL, et remporte pour ce premier opéra le prix Nouveau Talent de la SACD 2019 et le Prix Charles Oulmont 2019, poursuivant ainsi une trajectoire de plus en plus marquée : Micromégas, opéra d’après VOLTAIRE, commande du festival Ars Musica de Bruxelles (2023), l’adaptation et l’orchestration du ballet de Pierre LACOTTE, Le Rouge et le Noir, pour l’Opéra de Paris (2021), Beethoven Celtique, projet symphonique avec Sir Bryn TERFEL et Carlos NUNES (2023), l’opéra Stella et le Maître des souhaits (commande la Philharmonie de Paris 2020). Toujours ouvert aux nouvelles aventures, il prépare pour 2025 Un Match, son nouvel opéra se passant dans le milieu du football (Paris, opéra de Reims…).
Cet attrait se matérialise aussi par des collaborations avec des ensembles renommés tels Musicatreize, les maîtrises de Radio-France ou Notre-Dame de Paris, Les Cris de Paris, Les Discours (pour Le Christ aux Coquelicots d’après Christian BOBIN), le Chœur National des Jeunes.
Son catalogue déjà très fourni (plus de 160 opus) embrasse quasiment toutes les formes d’expression musicales instrumentales ou vocales et fait de lui un des compositeurs français les plus en vue de sa génération. Si la musique de chambre tient une place particulière dans son travail, cet ancien élève du Conservatoire de Paris, poursuit son chemin bien singulier vers l’orchestre, avec des collaborations à l’international (Japon, Belgique, Ukraine) pour des concertos et des pièces symphoniques souvent marquées par des liens avec d’autres arts : photographie, danse, peinture, vidéo… Il veille enfin à toujours marier l’exigence d’une écriture lyrique et structurée avec une farouche volonté de rester proche du public et des interprètes, comme une sorte de « metteur en scène » des émotions, comme un vecteur, un média.
Ses trois premiers disques monographiques Monologue[s] (enregistré par l’Ensemble Accroche Note) à Les Îles (avec Emmanuelle BERTRAND, Maya VILLANUEVA et l’Ensemble Syntonia, sorti chez Harmonia Mundi) et Chants de l’Isolé (Trio Karénine – Diapason d’OR 2023) furent salués par la critique.
Il reçoit des commandes et collabore pour des artistes tels que Bryn TERFEL, David KADOUCH, le Trio Karenine, le Quatuor Tana, les ensembles Ars Nova, Musique Nouvelle, Calliopée, Les Surprises (Radio-France), les orchestres nationaux de Paris, de l’Opéra de Paris, d’Île de France, des Pays de Loire, de Bretagne, de Metz, Nancy, les orchestres de Washington, Kiev, Kanazawa, l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie…
Deux fois nominé aux Victoires de la Musique Classique, Benoît MENUT est lauréat du prix Florent Schmitt de l’Institut de France (2022), Grand Prix SACEM 2016 de la musique symphonique (catégorie jeune compositeur), prix des professeurs au Grand Prix des Lycéens 2020 et lauréat des fondations Banque Populaire (2008) et Francis et Mica Salabert (2014).
Édité aux Éditions Musicales Artchipel, Benoît MENUT est chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
Benoît MENUT lors des répétitions de Berengère à l’Abbaye de l’Épau en 2023.
(Site internet)
Pour ceux qui souhaiteraient mieux connaître Benoît MENUT, nous signalons l’existence d’un grand entretien au micro de Gabrielle Oliveira Guyon avec le compositeur en 5 épisodes sur France Musique consultable en podcast.
1) Les propos du compositeur
Bérengère de Navarre (environ 1160–1230) est un personnage singulier, important de son époque. Elle est aussi une sorte de symbole, une femme, reine, veuve de Richard Cœur de Lion, sans enfants, qui a du faire valoir ses droits pour continuer à tenir un rang ; une voyageuse par obligation (Italie, Sicile, Chypre, Terre Sainte…), devoir, puis plaisir (Le Mans).
J’ai essayé de conter sa vie à quatre âges dans cette œuvre, en me basant sur les derniers travaux historiques consultables, en particulier ceux de Ghislain BAURY et Vincent CORRIOL, auteurs du livre Bérengère de Navarre (v. 1160-1230) Histoire et mémoire d’une reine d’Angleterre, éditions Presses Universitaires de Rennes, 2022 qui, par leur remarquable travail m’ont permis de m’inspirer des nombreuses sources historiques et littéraires qu’il contient.
Ainsi, en six tableaux, nous parcourons une vie, chantée par deux chœurs, jeunes et adultes, accompagnés par un grand ensemble de vents, de cuivres et de percussions, parfaitement adapté à la sonorité de l’Abbaye de l’Épau, dont Bérengère fut la fondatrice.
Cette œuvre est mi-cantate, mi-oratorio, c’est une forme d’œuvre à vocation historique mais aussi épique comme le furent certains épisodes de la vie de cette femme. Je tiens à remercier Marianne GAUSSIAT, directrice artistique du Festival de l’Épau pour sa confiance, ainsi que tous les services du département de la Sarthe et de l’Abbaye de l’Épau pour leur soutien et écoute dans la construction de cette aventure singulière. Le gisant de Bérengère se trouve aujourd’hui placé au cœur de cet endroit. Son esprit y vibre, et je suis heureux d’avoir écrit, chanté et fait chanter son histoire.
2) Ce qu’écrit le chef d’orchestre créateur de la pièce
Cette cantate s’ouvre de façon mystérieuse et originale avec l’orchestre seul et des entrées successives d’instruments dans une nuance délicate. Un thème mélancolique et solennel se fait entendre, comme une idée fixe, que l’auditeur retrouvera tout au long de l’œuvre. Le chœur d’adultes arrive ensuite pour raconter à son tour les premiers mots de l’histoire avec une mélodie qui restera elle aussi présente jusqu’à la fin de la pièce. S’en suit le chœur de jeunes, en réponse pour offrir un tutti entraînant et dynamique.
La narratrice représentant Bérengère âgée, nous accueille pour conter sa vie et son amour pour l’Abbaye de l’Épau qu’elle a fondé seule et dans laquelle elle repose désormais. Un solo de flûte traversière méditatif résonne dans cette abbaye comme un esprit qui ne meurt jamais.
Le troisième tableau retrace la vie de Bérengère enfant, à l’âge de dix ans, insouciante et malicieuse. Le début de ce mouvement demandera aux flûtes et clarinettes de la virtuosité. La partie chantée, assurée par le chœur de jeunes, est en basque, en rappel de ses origines espagnoles. Les mesures composées couplées aux nombreux changements de mesures rendent ce mouvement très énergique, mais également délicat.
Puis l’esprit de Bérengère plane à nouveau dans l’Abbaye avec quelques intermèdes de solistes (flûte, percussions, voix parlée) avant d’ouvrir un choral orienté vers les cuivres, dans un rôle inédit avec de longues tenues et des nuances extrêmement douces, pour la plupart avec sourdine, entretenant une part de mystère.
La séquence suivante retrace la rencontre puis le mariage de Bérengère avec Richard Cœur de Lion. Tout d’abord, les thèmes sont doux, calmes, assurés par la famille des saxophones quelques percussions et les deux chœurs réunis. Une ambiance de chant médiéval caractéristique se dégage. La mélodie s’appuie sur un rythme syncopé, cette fois-ci en français, puis sur un canon et quelques onomatopées, avant de terminer sur un effet de souffle jusqu’à l’infini.
Au cours du voyage pour rentrer en terre sainte afin de célébrer leur union, une tempête éclate. Celle-ci est illustrée dans un mouvement perturbé et instable, réservé à l’orchestre seul, avec des changements de mesures réguliers et des rythmes rapides. Le crescendo proposé permet d’imaginer les péripéties de ce voyage. Le calme revient peu à peu, mais un dernier passage tumultueux et chavirant arrive illustré par les bois, accompagnés de tenues de cuivres et percussions surpuissantes avant le silence. Ce passage est certainement le plus difficile et technique de toute l’œuvre de Benoît MENUT.
Puis, la Fanfare du Couronnement arrive, logiquement interprétée par les cuivres et percussions dans une nomenclature réduite (deux trompettes, un trombone, un euphonium, timbales). À la demande du compositeur, les musiciens étaient positionnés dans un côté de l’Abbaye, surplombant les spectateurs pour un effet de surprise et de spatialisation. L’écriture rythmique et la tessiture de cette fanfare demande une excellente maîtrise des instruments la composant.
L’histoire continue et la musique débute dans un tempo rapide, avec une succession de changements de mesures, soulignant l’instabilité et le drame de cette période. L’utilisation de multiples articulations et de rythmes mettent en évidence les guerres et les combats auxquels Bérengère a dû assister. Entre tragédies et blessures, elle exprime sa profonde colère. Ce mouvement en tutti demande de la rigueur tant pour le placement rythmique que pour le style. Après une courte pause, un solo de clarinette annonce la suite, toujours dans cette ambiance déterminée, laissant place à des mesures composées (7/8) sans jamais avoir la même décomposition, et un final acrobatique (5/4) accompagné d’un crescendo imposant. Il faudra user d’une bonne technique de direction pour appréhender ce passage délicat.
S’en suit alors un moment plus calme, plus triste où Bérengère raconte son deuil et sa solitude. La musique, en petite formation, et le chœur, grâce à des paroles simples, nous transportent dans la tristesse de Bérengère.
Le dernier tableau s’ouvre en duo avec une soliste du chœur de jeunes, et la flûte traversière. Comme une prière, dans un Ave Maria troublant, il rassemble les trois « Bérengère » du récit. Enfin, le thème du début de l’œuvre revient, dans un final sobre, plus court, et plus lent que l’introduction. L’histoire s’arrête progressivement et Bérengère s’en va en paix, heureuse, pleine d’amour et de rêves.
Conclusion : À bien des égards, c’est une pièce difficile dans sa forme, son équilibre et sa durée, qui nécessite une solide expérience de direction afin de coordonner tous les participants. Tout y est : changements de tempi, rallentando, accelerando, nombreux changements de mesures, mesures complexes qui s’enchainent, points d’orgue, départs et arrêts soudains, relation permanente entre les récitants, les choristes et les musiciens.
L’écriture rythmique alliée à la difficulté des mesures utilisées rend la mise en place délicate, et nécessite des musiciens expérimentés dans l’orchestre et dans les chœurs. Les changements d’ambiances et de tableaux, demandent également une concentration importante d’autant que l’œuvre est longue, environ 51 minutes. Une attention particulière doit également être portée au respect de l’équilibre entre l’orchestre et les chœurs dans une acoustique parfois généreuse.
Je garde un excellent souvenir de cette œuvre grandiose, dans un lieu exceptionnel. A notre grand regret cette cantate n’a été interprétée qu’une seule fois, alors je pense qu’il serait tout à fait pertinent qu’elle soit programmée encore et encore. Un grand merci Benoît pour ton travail, tes conseils, ta générosité et ta confiance.
Focus présenté par Arnaud MARTIN, chef de l’Orchestre d’Harmonie de la Sarthe (2011-2023)
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Bérengère de Navarre et l’Abbaye de l’Épau :
Gisant de Bérengère de Navarre, Abbaye de l’Épau.
Création :
Commanditaire : Département de la Sarthe pour le Festival de l’Épau
Date de création : 10 mai 2023
Lieu : Abbaye Royale de l’Épau
Chef et orchestre : Orchestre d’Harmonie de la Sarthe sous la direction d’Arnaud MARTIN
Partition :
Titre : Bérengère, cantate en six tableaux pour 4 comédiennes, chœurs d’adultes et de jeunes et orchestre d’harmonie
Durée : 51 minutes
Niveau : Difficile
Editeur : Les Éditions Musicales Artchipel, 1, rue des Marronniers – 77250 Villemer – France (info@artchipel.net)
Extraits du conducteur
Couverture du conducteur.
Orchestre d’Harmonie de la Sarthe (Odh72).