Farewell – Pierre-Antoine Savoyat
pour Orchestre d’harmonie
Né en 1993, Pierre-Antoine SAVOYAT est un trompettiste et compositeur français basé à Bruxelles. Il a obtenu un triple diplôme d’études musicales en trompette classique, direction d’orchestre et trompette de jazz au Conservatoire régional de Chalon-sur-Saône, où il a également suivi des cours d’orgue, d’improvisation libre et de composition.
En 2016, il intègre la section jazz du Conservatoire royal flamand de Bruxelles. Durant ses études, il a suivi des cours avec des noms importants de la scène jazz européenne : John RUOCCO, Diederik WISSELS, Jeroen VAN HERZEEL, Jean-Paul ESTIÉVENART, Stephane GALLAND pour n’en citer que quelques-uns. Il a également étudié avec Matthieu MICHEL à la Haute École de Musique de Lausanne lors d’un semestre d’échange. Il a obtenu son diplôme de master Magna Cum Laude en 2021 en présentant People Suite, lors d’un concert impressionnant mêlant jazz et langage classique-contemporain.
Aujourd’hui, Pierre-Antoine est l’un des artistes les plus actifs sur la scène jazz belge, avec son propre groupe Le Monde Merveilleux de Pépito, dont le premier album, Memories from a Winter Journey, sorti en novembre 2023, est salué par la critique. Il est également un sideman influent dans divers groupes tels que le nouveau sextet de Stephane GALLAND, The Rhythm Hunters, ou en tant qu’invité pour le groupe belge Aka Moon. Il a également été membre de l’Orchestre national de jazz des jeunes français entre 2020 et 2022, sous la direction de Franck TORTILLIER et Denis BADAULT.
En tant que compositeur, Pierre-Antoine SAVOYAT a écrit pour tous types d’ensembles, mais il est surtout connu pour ses œuvres pour brass band britannique : sa deuxième Sinfonietta Quatre Impressions, commandée par le Hauts de France Brass Band, sous la direction de Luc VERTOMMEN, a été acclamée aux championnat de France en 2022, où Hauts-de-France Brass Band a remporté le titre, ainsi qu’aux championnats européens de Birmingham la même année (deuxième meilleure performance de la pièce au choix). La pièce a été choisie par VLAMO pour le Championnat National Belge en 2023. Pierre-Antoine SAVOYAT a également été finaliste du Concours de composition européen organisé par l’Orchestre Im Treppenhaus (Hannover), et vainqueur du 6ème Concours de Composition pour Orchestre d’Harmonie Angelo Inglese (Italie).
Son style musical peut être très éclectique, montrant sa versatilité, ou avec des mélanges ambitieux de genres et de langages. Suivant la philosophie d’Édouard GLISSANT (1928-2011), il définit sa musique comme européenne-créole.
Alexandre COMBLE (1974-2023)
La pièce rend hommage à deux musiciens qui étaient importants pour moi. Alexandre COMBLE (Tubiste, directeur du Conservatoire de Tonnerre puis du Conservatoire de Chenôve que j’ai rencontré dans les rangs du Burgundy Brass Band) et Florent BONNETAIN (chef d’orchestre de l’Orchestre d’Harmonie du Rhône qui deviendra le Lyon Métropole Orchestra). Ils nous ont tous deux quittés subitement en 2023, et étaient des personnes dévouées qui pouvaient faire bouger des montagnes. Je pense que nous sommes nombreux à avoir été inspirés et encouragés par eux.
Dès lors, peu après leur disparition j’ai eu connaissance du 6e concours de composition Angelo Inglese (Bari, Italie) qui demandait de se servir de la musique de PUCCINI comme base. Et il y a ce magnifique quatuor peu connu Crisantemi que PUCCINI aurait écrit en une nuit après avoir pris connaissance de la mort de son ami le Duc de Savoie. Dès lors j’ai commencé à écrire sans même me soucier vraiment du concours (car parfois lorsque vous composez pour un concours vous pensez aussi à ce que va penser le jury), je voulais juste écrire la pièce, et cherchant comment rendre un hommage le plus lumineux possible.
Pierre-Antoine SAVOYAT
Florent BONNETAIN (1978-2023)
La genèse de l’œuvre en explique à la fois l’argument et l’écriture. Mais la référence à une œuvre plus ancienne de Puccini donne des éclaircissements certains sur le matériau mélodique.
1) Au sujet de I Crisantemi (« les Chrysanthèmes ») de PUCCINI
C’est en 1890 que Giacomo PUCCINI (1858-1924) compose I Crisantemi (« Les Chrysanthèmes ») pour quatuor à cordes. Cette pièce est une réponse rapide à la mort soudaine d’Amadeo DI SAVOIA, duc d’Aoste, ami de PUCCINI et dont la mort prématurée à l’âge de 44 ans a beaucoup touché le compositeur. Le titre de l’œuvre provient de la signification de la fleur elle-même. Les chrysanthèmes représentent traditionnellement l’héroïsme, la loyauté et le deuil. PUCCINI a donc donné à cette œuvre élégiaque le nom de la fleur de la loyauté. Outre la pièce elle-même, il a également réutilisé une partie du contenu de cette œuvre dans son opéra Manon Lescaut, qui a été composé trois ans plus tard. La musique sert de toile de fond à au moins deux actes de l’opéra.
Composée d’un seul mouvement de lamentation, l’élégie s’articule autour de deux thèmes principaux. De manière inhabituelle, les deux thèmes sont en do# mineur, mais ils se développent de manière très différente. Le premier, qui se développe à partir d’un chromatisme lent et intense, acquiert de la puissance de l’intérieur et se déplace en mouvement contraire. Incontestablement c’est l’un des joyaux cachés de PUCCINI.
2) De I Crisantemi à Farewell
La 6e édition du concours international de composition « Angelo Inglese » de Bari (Italie) coïncidait en 2024 avec le centenaire de la mort de PUCCINI. Les participants devaient s’inspirer librement des mélodies immortelles et de la vie du célèbre compositeur d’opéra italien. Les partitions devaient à cet effet contenir des idées, des fragments, des citations et/ou des variations sur un thème rappelant Puccini.
Farewell est donc loin d’être une transcription d’une œuvre de PUCCINI. Les emprunts en sont mesurés et ne restent que des citations. Pierre-Antoine SAVOYAT précise : « La structure de la pièce est en cinq parties, en forme d’arche (la première et la dernière partie sont liées, ainsi que la deuxième et la quatrième partie). Vous pouvez également entendre d’autres motifs de la musique de Puccini, comme les trois accords (mais en mineur) de Scarpia dans Tosca, qui me font toujours penser à un destin inévitable ».
3) Les temps forts de Farewell : invitation à l’interprétation
Incontestablement l’invention première, celle qui attire l’attention de l’auditeur, est l’usage d’une cellule rythmique sur une mesure à 3 temps formée de quatre doubles-croches suivies d’une blanche (aux basses). Sa répétition apporte une tension dès les premières mesures qui ne sera rompue qu’à la mes. 18 par un cri déchirant (exprimé par la trompette bouchée et la flûte) qui se meurt en decrescendo sur quatre mesures. Les trois coups du destin (mes. 27) marquent la rupture et ouvrent une partie agitato en 4/4.
Les appels se succèdent formant peu à peu une ébauche de thème (mes. 33) en crescendo, maintenant la tension (ou l’attention) sur un lit de doubles croches inquiétant. À la mes. 64 émerge un thème issus du thème A d’ I Crisantemi, au hautbois et au saxophone alto. Il apporte une détente heureuse après ces deux minutes sous tension. Elégiaque, ce thème porte à une forme d’optimisme, poussant à l’aventure, un air qui se fredonne pour poursuivre son chemin.
Cependant, dès la mes. 102, le discours devient heurté et chaotique, coupé à la mes. 119 par trois violentes mesures de percussions et si la ligne mélodique veut reprendre, le sentiment d’essoufflement fait alterner valeurs longues et brèves. Tout se heurte, s’affole et s’effondre entre la mes. 137 et la mes. 151. La sonnerie de cor devient un appel nostalgique relayé par la flûte dans le medium et le cor anglais (mes. 160). L’appel est accentué par un rallentando et de lourds et sombres accords.
Un nouveau thème apparaît à la mes. 165, au tuba (le choix ici n’est clairement pas une coïncidence). C’est le lamento, citation directe du thème B d’I Crisantemi. Repris par les cuivres graves il est empreint d’une tristesse accentuée par les modulations sur des tonalités mineures et un chant désespéré du saxophone soprano. Mais cette déchirure ne dure pas. À la mes. 197, l’ostinato rythmique introduit par le glockenspiel soutien un thème personnel du compositeur énoncé au bugle porteur d’un sentiment d’espérance, bien que restant dans un temps suspendu inquiétant.
Mes. 230, on retrouve le thème de la mes. 64 de manière fugace qui répond directement au thème personnel joué par le saxophone baryton, tout cela s’intensifie et emmène à un climax soudainement interrompue. Puis à la mesure 253, les cuivres en sourdine bol jouent pour l’unique fois du morceau une fragment de la pièce de Puccini, commenté par des interventions de clarinette, de piccolo et de glockenspiel. Progressivement l’orchestration de ce fragment s’ouvre et ce mouvement central se clôt sur une fanfare solennelle.
S’ouvre alors (mes. 268) un épisode singulier où les accords longs (pupitre de clarinette) sont bousculés par des stridences aux trompettes puis aux cors et euphonium, soutenus par le xylophone et le marimba. C’est un thème massif et puissant qui émerge aux basses de l’orchestre reprenant, l’ébauche déjà entendue mes. 33. Une fois encore ce thème s’étiole dans des tourbillons de doubles croches (mes. 306) que quelques rythmes rapides viennent marteler (ensemble instrumental formé de piccolo, hautbois, saxophone soprano, cors, vibraphone et glockenspiel) sorte d’appel, de S.O.S. en morse. Dans cette atmosphère un choral mystérieux surgit par un trompette accompagné par le pupitre de trombone bouché (313). Le choral mystérieux est répété par les flûtes et les hautbois dans une atmosphère plus épurée, avant de retrouver l’atmosphère de la seconde partie.
La musique semble s’affoler, le rythme harmonique devenant de plus en rapide, et les entrées successives devenant de plus en plus nombreuses. À la fin de ce crescendo (377), le thème d’espoir énoncé au bugle dans la partie centrale lente est repris par les cuivres d’abord, par les cors puis par les trompettes, mais dans un caractère plus triomphant. Tout cela emmène vers une conclusion glorieuse, même si l’harmonie laisse percevoir une polytonalité qui rend le tout incertain.
Cette conclusion (mes. 408 à 478) reste dans cette intranquillité. Les accords ascendants s’enchaînent, cherchant à faire aboutir une forme de quiétude que remettent en cause les rythmes saccadés déjà entendus appliquant même le principe du stringendo sur une mesure baroque en 9/16, infusant ainsi une nouvelle énergie à ce qui devrait être conclusif. Mais nous arrivons de fait sur la dernière partie qui devient une version éclaircie de l’introduction. L’accord long et répété, martelé par des sforzendi à sept reprises, ne connaît qu’une lente conclusion dans laquelle émergent, tels des souvenirs ou des regrets des brides des deux thèmes reconnaissables (mes. 440 à la clarinette et 449 thème A au saxophone soprano) hommage à ceux qui ont rejoint les étoiles de la pensée.
Farewell nous semble une pièce particulièrement intéressante par son univers musical qui reste en mémoire, tel un « ver d’oreille ». Elle devrait attirer l’attention de chefs d’orchestre en recherche d’originalité. Les jurés (parmi lesquels Johann de MEIJ, Otto SCHWARZ ou Massimo MARTINELLI) du concours de composition de Bari ne s’y sont pas trompés. Nous conseillons vivement aux orchestres de haut niveau, tentés par la participation au Championnat National d’Orchestres d’Harmonie que ce soit en 2025 ou pour d’éventuelles futures éditions de mettre sur leurs pupitres Farewell. La virtuosité n’est jamais utilisée comme un gadget « pour faire sérieux ». Elle est la trame de ce qui se joue.
Enfin, il nous revient de remercier Pierre-Antoine pour avoir su évoquer la mémoire de deux formidables personnalités musicales fortement impliquées dans le monde des ensembles à vent et disparues bien trop tôt.
Focus présenté par Patrick PÉRONNET, docteur en Musicologie, août 2024
Giacomo PUCCINI (1858-1924) photographie colorisée par JECINCI.
Le nouvel Orchestre d’Harmonie des Jeunes d’Italie (120 musiciens), sous la direction d’Antonio BARBAGALLO lors de la création le 8 septembre 2024.
Farewell de Pierre-Antoine SAVOYAT – Nomenclature
Piccolo
Flute 1
Flute 2
Hautbois 1
Hautbois 2
Basson 1
Basson 2
Contrebasson
Clarinette Mib
Clarinette Sib 1
Clarinette Sib 2
Clarinette Sib 3
Clarinette Alto Mib
Clarinette Basse Sib
Clarinette Contrebasse
Saxophone Soprano
Saxophone Alto 1
Saxophone Alto 2
Saxophone Tenor
Saxophone Baryton
Saxophone Basse (ad lib)
Trompette Sib 1,2
Trompette Sib 3,4
Cor en Fa 1,3
Cor en Fa 2,4
Trombone Ténors 1,2
Trombone Basse
Bugles en Sib 1,2
Euphonium 1,2
Tuba
Contrebasse
Timbales
Percussion 1
Percussion 2
Percussion 3
Percussion 4
Harpe (ad lib) ajouté à l’édition
Piano (ad lib) ajouté à l’édition
Création :
8 septembre 2024 au Grand Théâtre de Torre del Lago (Italie) par le nouvel Orchestre d’Harmonie des Jeunes d’Italie (Orchestra Giovanile di Armonia Italiana), sous la direction d’Antonio BARBAGALLO, directeur musical de la Musique de la Marine Italienne.
Partition :
Titre : Farewell
Pour : Orchestre d’harmonie
Durée : 15 min. environ
Niveau : Difficile
Editeur (À paraître) : Musikverlag Frank GmbH, Industriestrasse, 30 c, 4542 Luterbach, SUISSE. Tél : 41 (0)32 685 48 80, mf@musikverlag-frank.ch