Le Samouraï Noir – Sofiane MESSABIH

Le Samouraï Noir • Présentation de l’œuvre

Les intentions du compositeur

Le Samouraï Noir est l’œuvre lauréate du Concours de composition 2022 de l’A.SAX dans la catégorie fin de second cycle. Elle fut au programme du second Concours National d’Interprétation pour Jeunes Saxophonistes de l’A.SAX 2022 dans la catégorie fin de 2^nd Cycle et au programme du Concours International Adolphe Sax l’Haÿ-les-Roses 2022 dans la catégorie moyen.

Le Samouraï Noir est inspiré d’une histoire vraie. Cette composition en 3 parties représente la vie de ce futur samouraï.

Dans la première partie, le compositeur évoque le début de la vie d’un esclave noir vendu à des chinois. Ce début est très dynamique, on entre tout de suite dans un rythme et une pulsation effrénée, avec une présence dynamique énergique et intense.

La deuxième partie décris le voyage vers la Chine depuis l’Afrique en bateau. La mélancolie, et la tristesse profonde de cet esclave laisse transparaitre de fortes émotions.

La troisième partie raconte comment un empereur japonais rachète cet esclave noir et remarque en lui en potentiel samouraï. Le Samouraï noir est né. La carrure, ainsi que le tempo, évoquent les entraînements, les combats. Tout ceci reste un art. C’est pour ces raisons que cette partie est nerveuse et dansante, souple et rapide comme un Samouraï au sommet de sa pratique.

Sofiane MESSABIH

La vraie histoire de Yasuke, le « Samouraï noir »

Kurusan Yasuke (son nom d’origine demeure incertain) aurait été un guerrier originaire de l’ethnie Makua du Mozambique. Enlevé par des trafiquants d’esclaves à la fin du XVI^e siècle, il est vendu à des négriers portugais qui vont l’emmener jusqu’en Inde, à Goa, alors colonie portugaise. Là, il entre au service d’Alessandro Valignano, un jésuite italien avec qui il se rendra au Japon. En 1579, Yasuke débarque sur l’île de Kyûshû

Les Japonais, qui n’ont encore jamais vu de Noirs, sont fascinés par ce géant qui mesure « six shaky et deux sun ». L’hystérie est telle qu’Oda Nobunaga, l’un des plus grands seigneurs de guerre du Japon féodal, exige de le voir. Subjugué par la force et l’intelligence de l’esclave africain, il décide de le garder à ses côtés et de l’élever au rang de samouraï. Yasuke devient ainsi le premier étranger à intégrer l’élite guerrière nippone. Il obtient même le privilège de porter les deux sabres, signe de la confiance qu’Oda Nobunaga place en lui.

L’histoire de l’incroyable destinée de Yasuke demeure assez méconnue des Japonais malgré la sortie en 1969 d’un livre romancé pour enfants « Kuro-suke » dont il est le héros. Sa vie a néanmoins été contée par Serge BILÉ qui s’est appuyé sur les rares archives pour retracer le parcours extraordinaire de ce personnage méconnu qui a marqué l’histoire du Japon (Serge BILÉ, Yasuké, le Samouraï noir, Owen Publishing, 2018, 176 p.).

La version pour saxophone alto et orchestre d’harmonie

Sofiane MESSABIH est saxophoniste. S’il n’est pas exclusif dans son écriture, puisque son catalogue montre un grand éclectisme dans le choix de ses instruments-interprètes, le saxophone lui est cher et sa connaissance technique de ses possibilités s’entend dès les premières notes. Il est l’auteur de bien d’autres partitions où le saxophone paraît soliste, à l’image de Z pour saxophone alto et piano (il existe une version pour dixtuor à vent, percussions et batterie). Il a également écrit Supernova (danse cosmique) pour octuor de saxophones, Sama pour la même formation (commande de l’ensemble de saxophones « Octo+Si ») et Quasar pour grand ensemble de saxophones (commande du concours Sax’N Dole).

La version du Samouraï Noir avec orchestre d’harmonie a été interprétée par la Musique de la Garde républicaine (direction Frédéric FOULQUIER) en mars 2022. Nous avons découvert un peu par hasard cette création. Est-ce parce que cette version était donnée dans le cadre du concours d’interprétation organisé par l’association A.SAX, commanditaire de l’œuvre et qu’elle revêtait un aspect « anecdotique » du concours ? Nous sommes certains que non. Sans doute est-ce plus le fait d’un manque d’éclairage, de « promotion » pour ne pas dire de publicité. C’est l’éternelle question du « one shot », œuvre créée qu’il est bien difficile, pour le compositeur, d’entendre ré-interprétée par d’autres orchestres.

Pourtant les saxophonistes talentueux ne manquent pas en France (et dans le monde) et si Marcel MULE (1901-2001) a marqué toute une génération, ses héritiers ont permis à l’instrument une noblesse que la « docte science » lui a souvent refusée. Claude DELANGLE (né en 1957), qui nous fait l’honneur d’encourager nos actions Afeeviennes, est devenu une légende vivante du saxophone, une de ces « Voies du saxophone[1] » qui marquent notre temps. L’École française a formé assez d’émules pour qu’un soliste expérimenté puisse facilement croiser le chemin d’un orchestre d’harmonie capable.

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[1] En référence à l’ouvrage de Claude Delangle. Les voies du saxophone : Dialogue avec Lucie Kayas, 2023, Editions du Conservatoire, 100 p.

Vidéo de la création avec la Musique de la Garde républicaine, sous la direction de Frédéric FOULQUIER / Saxophone : Lénas DUCROS, à l’occasion du Concours 2022

En tournant les pages du conducteur

Deux notes au saxophone alto introduisent le 1^er mouvement. Le soliste prend la parole et réveille la masse orchestrale. La ponctuation des cuivres qui suit donne la parole aux bois qui installent définitivement la tonalité de Lab Majeur. Le rythme principal à 4 temps est brièvement entrecoupé de mesures à 2 ou à 3 temps sans réelle instabilité métrique. Sur ce tissus le saxophone semble hésiter avant d’aboutir à une montée harmonique précédée et accompagnée aux bois pour l’encourager et le laisser parler. Ce dernier développe son discours sur fond d’accords aux cuivres avec répétition d’une fusée conclusive (mesure 17) qui se résout par un Lab aux basses, rappel de la tonalité.

Le second mouvement (mesure 19), doux et mélancolique, est introduit par trois appels aux cloches tubulaires (mesure supplémentaire dans l’orchestration par rapport à la version piano). Dans un tempo lento (56 à la noire), le rythme en 3/4 est initié par 5 mesures aux percussions harmoniques (vibraphone, harpe, contrebasse à cordes & timbales) qu’adoucit le chant boisé de la flûte dans un balancement descendant, relayé par le saxophone soliste et le cor anglais. Les clarinettes dessinent un mouvement ascendant et descendant rompu qui renforce l’effet du balancement, laissant s’installer cette « Valse sentimentale » sur les notes longues du soliste. Un léger ritendo permet à ce dernier d’introduire sa phrase lyrique avec toute l’expressivité nécessaire. Un léger accelerando donne le signal de l’envol passant du medium à l’aigu pour conclure sur une cadence écrite avec hésitation puis affirmation (mesure 50). Par l’usage du 3 temps, sans accélération vis-à-vis du mouvement précédent, le saxophone solo exprime aisément son thème, comme libéré d’une contrainte binaire. Ses phrases sont alors complétées par un dialogue enchaîné avec le hautbois et les clarinettes. S’ouvre enfin une cadence soliste volubile dans la grande tradition des formes concertantes pour instrument soliste. Le saxophone explore les qualités techniques de l’instrument et ses harmoniques naturelles accompagnées d’altérations accidentelles, tout en suivant un classique passage entre notes portées ou piquées (parfois proche du staccato).

S’ouvre alors le 3^e mouvement (166 à la noire) noté « agressif », usant de mesures en 5/4 et 2/4, initiées aux trombones et tubas (avec un malicieux contretemps sur la 2^e pulsation). Ce rythme nouveau marque une rupture avec le déroulé paisible du 2^e mouvement. « Piqué au vif », le saxophone entame alors une lutte avec ce nouveau paradigme. L’absence des bois renforce ce sentiment pugilistique, à la façon de la Sonatine Sportive d’Alexandre Tcherepnine[1]. Sa phrase est reprise par la clarinette basse sur un fond percussif (blocs chinois & marimba) qui encourage la poursuite de la lutte, défi que relève brillamment le saxophone. Un autre encouragement maintenant la tension rythmique (harpe, glockenspiel & vibraphone) redonne du souffle au soliste (mesures 92-95) et le laisse chanter son trait. L’intervention intempestive de l’orchestre (mesures 100-101) semble vouloir interrompre son envolée narrative, mais c’est compter sans la combativité du soliste. Le jeu de ponctuations (mesures 112 et suivantes) dit l’acceptation finale de l’orchestre pour transformer la lutte en un accord pacifié. Il aboutit à un final sur trois notes interrogatives du soliste suivies de accords brefs de l’orchestre.

Hors les aspects techniques et lyriques abordés dans cette pièce par le soliste, l’accompagnement orchestral, qui n’est pas d’une grande difficulté, donne une profondeur harmonique des plus intéressantes à ce Samouraï Noir. Nous souhaitons que de nombreux orchestres s’en emparent et prennent grand plaisir à son interprétation.

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[1] Alexandre TCHEREPNINE, Sonatine Sportive pour saxophone alto et piano opus 63 – 1939.

Focus proposé par Patrick PÉRONNET

docteur en Musicologie

juin 2025

Pour de plus amples renseignements sur l’association A.SAX : www.asax-france.com

Et pour en savoir plus sur Sofiane MESSABIH : https://sofianemessabih.fr