La tentation d’exister – Jordan GUDEFIN
pour Orchestre d’harmonie
Jordan GUDEFIN se fait remarquer en 2017 en atteignant la finale du prestigieux Concours International de Jeunes Chefs d’Orchestre de Besançon, marquant le début d’une carrière riche en collaborations avec des ensembles réputés. Il a dirigé, entre autres, l’Orchestre National de Lyon, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, l’Orchestre National des Pays de la Loire, l’Orchestre National d’Auvergne, l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, le Gürzenich Köln Orchester et l’Orchestre Les Siècles.
Son parcours en tant que percussionniste, couronné par le Prix du Concours International de Cannes en 2010, lui a permis d’explorer une grande variété de répertoires et de langages musicaux. Cette expertise enrichit aujourd’hui son travail de compositeur et de chef d’orchestre, lui permettant d’aborder des langages et des styles très divers et variés.
Depuis 2023, Jordan GUDEFIN est le chef principal du Sinfonia Pop Orchestra, où il dirige des spectacles de musique à l’image. Passionné par la musique de film, il considère ce genre comme un reflet du langage et de la vitalité de la création contemporaine. Il dirige les tournées Disney en Concert à travers l’Europe depuis 2021, et notamment le tableau Hercule lors des deux concerts exceptionnels Disney 100, le concert événement à La Défense Arena. Il a également dirigé la tournée de concerts Dragon Ball en 2022 et est impliqué dans des projets marquants tels que le projet May the Force au Grand Rex en 2024, où il dirige les plus grandes musiques de Star Wars. Son énergie communicative et sa passion se manifestent non seulement dans ses interactions avec les musiciens, mais aussi dans sa capacité à captiver et enthousiasmer les spectateurs.
En tant que compositeur, Jordan GUDEFIN crée une musique tonale, rythmée et énergique, influencée par les langages de Dmitri CHOSTAKOVITCH, Sergei PROKOFIEV et Francis POULENC, tout en intégrant des couleurs de musique de film inspirées par John WILLIAMS, ainsi que des teintes plus jazzy. L’énergie rythmique et le langage harmonique de ses œuvres sont les clés de son style distinctif. Lauréat de la Fondation Banque Populaire en 2014, ses compositions sont depuis interprétées par des ensembles prestigieux à travers le monde, tels que la Garde Républicaine, l’U.S. Navy Band, l’Orchestre de la Radio de Bucarest, l’Orchestre Régional de Normandie, l’Orchestre Symphonique de Grenade, ainsi que par des solistes comme Claude DELANGLE, Sébastien GIOT ou encore Branford MARSALIS.
Jordan GUDEFIN est un artiste avec une passion et un engagement remarquables. Sa capacité à transcender les genres et à créer des expériences mémorables fait de lui un talent à suivre de près dans le monde de la musique.
Jordan GUDEFIN
1) Avant-propos, par l’auteur
Lors de ma lecture de l’ouvrage d’Émil CIORAN La tentation d’exister (1ère parution 1956), j’ai été marqué et frappé par ce pessimisme total, ce refus de célébrer la vie qui réduit l’être humain à sa fonction bestiale, mise à mal par sa raison et donc la perception de ses propres limites, aboutissant à un sentiment d’absence de sens à la vie.
“Exister est un phénomène colossal qui n’a aucun sens. C’est ainsi que je définirais l’ahurissement dans lequel je vis jour après jour”.
Ces lectures de CIORAN suivaient mes recherches et lectures, de manière plus générale, sur le courant existentialiste. J’avais déjà en tête une œuvre portant ces idées sans encore en connaître la nature et le message que je voulais y imprimer. Puis, la crise du Covid est arrivée et, comme beaucoup de personnes, j’ai été choqué devant autant de manque d’intelligence accordé aux citoyens. Je suis en particulier marqué par ces attestations que nous devions remplir, et par ces décisions politiques que je juge sévèrement. Mais peu importe, à cette époque j’ai donc associé toutes mes idées et commencé la rédaction de cette œuvre. J’ai alors découpé la pièce en plusieurs parties en entamant un dialogue entre l’œuvre de CIORAN et mon refus d’un pessimisme total.
L’idée centrale de ma pièce est que tout est futile, mais que cette futilité est belle et surtout humaine. L’acte de créer une œuvre artistique, par exemple, est à la fois dérisoire et total, mais surtout, cet acte est intrinsèquement humain. J’ai découpé cette pièce en cinq sections avec des titres suffisamment généraux pour permettre aux interprètes et spectateurs de donner le sens qu’ils souhaitent à ces mouvements. J’espère que cette œuvre plaira au plus grand nombre.
Jordan GUDEFIN
2) La trame du livre éponyme La tentation d’exister d’Émil CIORAN
Il existe un savoir mortel à la vie, destructeur par essence, dont ces essais se réclament et se détournent ensemble. Autant dire qu’ils se présentent comme une série de perplexités, comme l’illustration d’un tiraillement. Si, entre l’être et le connaître, l’auteur opte en fin de compte pour le premier, c’est qu’il s’est exercé à penser contre soi, contre ses certitudes : tiraillement encore, qu’il a instauré cette fois au plus intime de lui-même.
Dans ses conclusions, La tentation d’exister n’est qu’une protestation contre la lucidité, une apologie pathétique du mensonge, un retour à quelques fictions salutaires.
3) Les propos du compositeur
Jordan GUDEFIN livre ses idées contenues dans les 5 mouvements sur son site personnel.
Portrait d’Émil CIORAN (1911-1995) par le sculpteur roumain Darius HULEA (nè en 1987), Sculpture en fil de fer.
Enregistrement par l’Orchestre d’Harmonie de l’Électricité de Strasbourg, sous la direction de Marc SCHAEFER – Live Performance – 13 avril 2024, Palais des Congrès et de la musique de Strasbourg.
4) Les mots du créateur : Marc SCHAEFER
Lorsque Jordan GUDEFIN m’a présenté sa nouvelle œuvre : La tentation d’exister, je me suis aussitôt senti en osmose avec sa pensée artistique. La période difficile que nous venions tous de traverser avec ces insupportables atteintes aux libertés fondamentales de l’humanité, cette facilité déconcertante qu’avaient les gens à accepter l’inacceptable, tout cela m’a de suite mis en adéquation avec le titre de l’œuvre : n’étions-nous pas tous en train de tenter d’exister ?
Et les titres des mouvements sont explicites :
1 – Angoissante beauté du monde :
Une fresque féerique qui nous emmène tour à tour au-devant des éruptions d’un Stromboli, dans une nuit glaciale au milieu d’un désert, en plein océan déchaîné, mais aussi dans les ténèbres du monde souterrain ou encore dans la beauté inouïe de la forêt primitive. La vie y frémit et l’eau, source de vie « s’entend » partout. Cette musique est si bien imagée qu’un aveugle y retrouverait la vue ! Une sorte de fugue avec le thème principal en staccato interroge déjà sur la suite de la pièce. Et à la fin, les percussions résonnent comme des points d’interrogation.
2 – Solitude collective :
Une rêverie profonde avec des couleurs surprenantes pour un orchestre d’harmonie. Une nostalgie permanente et un questionnement récurrent : cette solitude collective existe depuis très longtemps. Elle est née dans nos grands centres urbains où les gens connaissent à peine leur voisin de palier. Mais elle a été poussée à son paroxysme lorsque nos élites dirigeantes nous ont séparés par la force en inventant un concept nouveau : la distanciation sociale ! Des envolées lyriques de toute beauté, mais toujours avec une retenue pudique, laissent entrevoir un espoir : l’Humanité ne se laissera pas enfermer dans sa solitude collective, Jordan GUDEFIN nous le certifie dans ce mouvement.
3 – La tentation du diable :
Charmeur et fourbe, le malin rôde autour de nous dans un rythme frénétique. Le mouvement n’est pas sans rappeler l’Apprenti sorcier de Paul DUKAS. Un rythme ternaire se construit tel un puzzle et l’image finale nous le montre, le diable ! Une pulsation qu’on dirait cardiaque nous entraîne dans un tourbillon fou et dont l’apothéose finale nous rappelle que nous ne devrions jamais y céder, à sa « tentation ».
4 – Silence intérieur :
Après ces tumultes, Jordan GUDEFIN nous fait entrer en méditation profonde. Ce « silence intérieur » force la réflexion sur notre existence, sur la causalité de notre vie et sur son but ultime dont la question sera posée brutalement à la fin de l’œuvre. Mais la lumière est toujours présente, avec un magnifique solo de trompette à la fin du mouvement. On ne sort pas de cette méditation, on s’évade loin, au plus profond de son âme. Et dans ces profondeurs luit une lumière faible, tremblante mais présente. C’est la lumière de l’espérance soulignée par un magnifique solo de hautbois, puis de trompette. Et finalement cette lumière s’extirpe des ténèbres, c’est la lumière éternelle.
5 – Le bruit des fourmis :
Ne vous y fiez pas, elles sont très bruyantes, ces fourmis ! Et nous leur ressemblons. La lutte frénétique vers toujours plus de technologie mais aussi vers des conflits incessants est soulignée par l’emploi d’enclumes et de brillantes interventions aux percussions en grand nombre. Très virtuose pour les bois, à la limite parfois des possibilités des instruments, le mouvement décrit le pullulement de l’humanité avec une croissanceexponentielle. Et arrive le point (ou plutôt le coup) culminant et final de l’œuvre. Un marteau énorme abattu sur sa caisse de résonance.
Autant l’usage de ce marteau par Gustave MAHLER dans sa 6e Symphonie est connu, et surtout sa signification. Au début dans sa symphonie, MAHLER utilise trois fois le marteau : le premier coup du sort était la perte de sa fille Maria à l’âge de 4 ans, le second était pour la démission forcée de l’Opéra de Vienne sur fond d’antisémitisme, et le troisième marquait la découverte d’une maladie cardiaque. Par la suite, il limita son usage à un seul coup par peur d’une prophétie auto-réalisatrice. J’ai interrogé Jordan GUDEFIN sur la signification de ce coup de marteau ultime mais pas tout à fait, car un trémolo d’une durée de trente secondes au vibraphone nous dit, quelle que soit notre idée propre de la signification de ce coup de marteau, qu’il reste quelque chose après, que quelque chose survit.
Est-ce l’Humanité qui s’est auto détruite et seules quelques bactéries survivent, ou est-ce le Big Bang fondateur de toute cette aventure ?
Jordan GUDEFIN nous laisse libres de notre conclusion. A chacun de voir ce qu’il veut y voir. Ce qui est certain, c’est que l’on sort bouleversé de l’audition de cette œuvre, chamboulé, transformé. Une grande œuvre, assurément, et qui mérite d’être largement jouée et diffusée.
Focus présenté par Marc SCHAEFER, chef de l’Orchestre d’Harmonie de l’Électricité de Strasbourg (67), août 2024.
Affiche de la création le 13 avril 2024
L’Orchestre d’Harmonie de l’Électricité de Strasbourg, direction Marc SCHAEFER.
Création :
Date : 13 avril 2024
Lieu : Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg (67)
Chef et orchestre : Orchestre d’Harmonie de l’Electricité de Strasbourg sous la direction de Marc SCHAEFER
Partition :
Titre : La tentation d’exister
La proposition pour la pièce imposée du CNOH 2025 ne concerne que les extraits 4. Silence intérieur (durée : 5’22’’) et 5. Le bruit des fourmis (6’04’’) soit un timing total avoisinant 11’30’’. Les références dans le conducteur : de la page 100 à la page 162.
Pour : Orchestre d’harmonie
Durée : 30 – 33 min.
Niveau : Difficile
Editeur : Alfonce Production, 1, rue Gilbert Morel, 63000 Clermont-Ferrand (info@alfonce-production.com)