
Le Grand Concours des orphéons, harmonies et fanfares de Lyon en 1864 – Patrick Péronnet

PERONNET Patrick, Le Grand Concours des orphéons, harmonies et fanfares de Lyon en 1864
In Musique, histoire et musicologie, mélanges offerts à Philippe Gumplowicz[1], ouv. coll. ss. les dir. de Thierry Favier, Anaïs Fléchet, Martin Guerpin, Grégoire Tosser & Jean-Claude Yon,
[1] Pour ceux qui seraient intéressés par une lecture plus complète et qui souhaitent comprendre mieux encore, l’hommage rendu à Philippe Gumplowicz, nous vous invitons à lire les premiers paragraphes des collègues et amis en suivant le lien : https://excerpts.numilog.com/books/9791037038838.pdf
Éditions : Hermann (Paris)
Date de publication : 2024
Nombre de pages : p.145-170
Présentation
Pax sequitur musas populos lyra foedere jungit[1]
Depuis plus de trente-cinq ans, aborder un sujet précis ou voisin touchant à l’orphéonisme, c’est référer au travail universitaire fondateur de Philippe Gumplowicz. Les travaux d’Orphée[2] ont eu, entre autres, le mérite d’éclairer les passionnés des harmonies, fanfares et chorales, de ce qu’il est convenu d’appeler, en France, la « musique populaire[3] ». Concordance des temps, le jeune archéologue-historien que j’étais se passionnait pour la recherche et se régalait de l’Université et de ses maîtres, alors que le même, clarinettiste amateur, devenu chef d’orchestre (un « musicien amélioré » selon l’expression attitrée de Désiré Dondeyne) tentait de faire résonner la lyre d’Orphée au sein d’un orchestre d’harmonie de la banlieue lyonnaise.
Que Les Travaux d’Orphée m’aient éclairé est un euphémisme. L’ouvrage a renforcé ma double passion et a obligé l’homme à s’interroger dans sa pratique. Tenter de légitimer la musique populaire, d’investir les orphéonistes comme des médiateurs culturels, d’intégrer son étude (passé et présent) au savoir universitaire, telle fut la cause défendue par le Maître traçant mon propre cheminement.
Philippe Gumplowicz
« Ce moment orphéonique cristallise des passions historiques, il est borné par un répertoire musical, un projet associatif, des usages pédagogiques, une ambition d’éducation esthétique populaire », résume ultérieurement Philippe Gumplowicz dans Faiseurs d’Histoire[4] . L’interpellation était puissante et fut mon vade mecum de « chef » pendant mes trente-cinq années de direction d’ensemble. Quel répertoire ? Quelle esthétique ? Quel projet ? Quelle pédagogie ? Quelle Histoire ?
Patrick Péronnet – 14 octobre 202
Il fallut longtemps pour que l’auteur de ces lignes, s’échappant « à ses heures gagnées (et non perdues !) » de ses obligations musicales et professionnelles, puisse prétendre soutenir une thèse. Les Enfants d’Apollon dont le titre se veut une filiation aux Travaux d’Orphée doivent beaucoup à cet encouragement intellectuel et moral. La présence de Philippe Gumplowicz dans mon jury de thèse s’imposait. Il fut le lecteur critique bienveillant et son hommage lors de la soutenance reste un beau moment de reconnaissance personnelle. Honorer aujourd’hui Philippe est une œuvre juste. Ma modeste contribution voudrait dire aussi ce que sont les « résonnances de l’ombre[5] » d’une démarche et d’un travail universitaire de référence.
[1] Littéralement « La paix suit les muses des peuples de la lyre », légende de la médaille commémorative du concours de Lyon 1864.
[2] Philippe GUMPLOWICZ, Les Travaux d’Orphée, 150 ans de vie musicale en France. Harmonies, chorales, fanfares, Paris, Aubier, 1987 (réed. 2001), 307 p.
[3] Curieusement, alors que le concept de Popular music se développe en musicologie depuis de nombreuses années outre-Manche et sur le continent américain anglophone, il a tendance à délaisser les formes populaires de musique qui se développent en Europe dès le XIXe siècle. C’est particulièrement vrai pour le domaine orphéonique français. Lire à ce sujet l’article édifiant que consacre l’Encyclopaedia Britannica à ce sujet. https://www.britannica.com/art/popular-music
[4] Philippe GUMPLOWICZ, « Élevé par les frères », in Philippe Gumplowicz, Alain Rauwel et Philippe Salvadori (dir.) Faiseurs d’Histoire, pour une histoire indisciplinée, Paris, PUF, 2016, p. 103.
[5] En référence à l’un des ouvrages explorant la passion viscérale de Philippe pour le jazz, Philippe GUMPLOWICZ, Les Résonances de l’ombre, Musique et identités : de Wagner au jazz, Paris, Fayard, 2012.
Résumé
Un document rare est à l’origine de cet article : le Compte-rendu historique du Concours musical de Lyon, 22 mai 1864[1]. Sans doute conscients de l’importance que pouvait avoir l’événement, les auteurs anonymes ont produit un ouvrage très complet sur ce concours orphéonique[2]. Y sont détaillés les comptes rendus succincts des séances préparatoires du comité d’organisation, l’éphéméride des journées qui encadrent la manifestation, la liste générale des prix, les appréciations partielles du jury, ainsi que des pièces justificatives à l’organisation du concours. Dans cette dernière partie de soixante-quinze pages sont glissés de précieux renseignements, notamment les « professions des orphéonistes qui ont assisté au concours[3] ». Le travail de collecte est assez impressionnant lorsque l’on sait l’importance de cette manifestation : 224 sociétés orphéoniques, 6.674 orphéonistes présents, ayant attiré près de 200.000 personnes dans la métropole lyonnaise.
Dans notre approche du mouvement orphéoniste et dans les pas des travaux de Philippe Gumplowicz[4], ce document nous permet une étude ponctuelle mais précise et, nous l’espérons parlante, sur la sociabilité des orphéons sous le Second Empire, les relations complexes entre la musique savante et la musique populaire, la répartition géographique du mouvement orphéonique dans le sud-est de la France, les implications et attendus politico-économiques d’une telle manifestation et les conséquences locales, régionales ou nationales de ce qui fut considéré, à l’époque, comme la plus importante « solennité » du mouvement orphéonique depuis ses origines en France[5].
[1] [Anonyme], Compte-rendu historique du Concours musical de Lyon, 22 mai 1864, Lyon, Vingtrinier, 1864, 152 p.
[2] On désigne par « orphéon » une société d’éducation musicale populaire, parfois subventionnée par des entreprises privées ou des municipalités, mais le plus souvent sous le régime de l’association à but non lucratif. Dans le contexte du concours de Lyon, l’orphéon désigne les chorales masculines d’amateurs et se distingue des musiques d’harmonie et des fanfares.
[3] [Anonyme], Compte-rendu historique du Concours musical de Lyon, 22 mai 1864, op. cit., p. 147-150.
[4] Pour contextualiser nos propos nous conseillons de lire notamment « Les saxhorns du Second Empire » in GUMPLOWICZ Philippe, Les Travaux d’Orphée, op. cit., chapitre III, p. 93-115.
[5] Revue et Gazette musicale de Paris, 29 mai 1864 (31e année, n° 22), p. 171.
L’auteur
Patrick Péronnet (né en 1959) est professeur certifié « hors classe » d’Histoire (ER). Docteur en Musicologie de l’Université Paris IV Sorbonne, il est un spécialiste de l’histoire des ensembles d’instruments à vent aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles (répertoires, organologie, implications politiques et sociales). Membre associé de l’IReMus (UMR 8223 CNRS – BnF) depuis 2016, il a reçu le Fritz-Thelen-Preis 2014 de l’Internationale Gesellschaft zur Erforschung unf Förderung der Blasmusik (IGEB) et a enseigné l’Histoire des Arts au Centre d’Etudes Pédagogiques pour l’Expérimentation et le Conseil (CEPEC) de Lyon. Il a été aussi chef d’orchestre, compositeur et arrangeur.
Hors sa thèse (Les Enfants d’Apollon. Les ensembles d’instruments à vent en France de 1700 à 1914), il est auteur de publications universitaires touchant les ensembles d’instruments à vent, la musique romantique, l’enseignement et la transmission des savoirs musicaux, les rapports entre musique et pouvoir (politique ou religieux) et ceux entre musique et nation.