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La Musique aux Tuileries – Patrick PÉRONNET

La Musique aux Tuileries – Patrick PÉRONNET

La musique aux Tuileries
Patrick PÉRONNET

PÉRONNET, Patrick. La Musique aux Tuileries ou les auditeurs des musiques de plein air, entre culture et loisirs au XIXe siècle.

Revue Silène. Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris Ouest-Nanterre-La Défense, 2021, 18 p.

Éditions : Silène
Date de publication : 2021
Nombre de pages : 18

Télécharger en pdf → La Musique aux Tuileries – Patrick PÉRONNET

Présentation

On a pu observer ces quinze dernières années un intérêt croissant pour la notion d’écoute ; en témoignent notamment l’ouvrage majeur de Martin KALTENECKER, qui s’attache à reconstituer une histoire des discours sur l’écoute entre le XVIIIe et le XIXe siècle, ou encore les travaux de Peter SZENDY qui déploient l’éventail des pratiques et des techniques auditives qui jalonnent « l’histoire de nos oreilles ». Dans les nouvelles ou les romans comme dans l’iconographie musicale au sens large, on connaît l’aura dont le XIXe siècle dote les interprètes et les compositeurs.

C’est à partir du célèbre tableau La Musique aux Tuileries (Manet, 1862) que je me suis intéressé à ces auditeurs des musiques de plein air. Quelle musique pouvaient bien écouter ces auditeurs alors que de musique, dans ce tableau, il n’y en a pas.

Le kiosque s’impose dans l’espace urbain dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Et avec le kiosque ce sont les ensembles d’instruments à vent qui décochent leurs trilles sous les ombrages des parcs et jardins haussmanniens. Qu’elles soient militaires ou civiles, les harmonies et fanfares assurent l’ambiance musicale des soirées d’été à Paris comme en province, du Nord au Sud et d’Est en Ouest avec une préférence pour les villes de villégiature (villes côtières ou thermales).

Ceci n’est pas en soi une découverte. Ce qui l’est plus, c’est la rencontre de ce « public » indistinct qui, par sa présence, son attention ou son inattention, donne toute sa légitimité à la musique à vent tout en dénigrant ses prétentions à devenir « savante ». Populaires, bourgeois, occasionnels, afficionados, désœuvrés, qui sont ces auditeurs/auditrices ? Quelles traces laissent-ils dans les arts et la littérature⁽︎¹︎⁾︎ ? C’est à cette découverte que nous vous invitons.

S’inscrivant dans une perspective sociologique, l’article de Patrick PÉRONNET nous permet de découvrir le répertoire, le public et les multiples modalités d’écoute associés à un nouveau venu de l’architecture haussmannienne, le kiosque à musique. Symbole d’une démocratisation de la musique, les concerts en plein air présentent initialement une programmation essentiellement faite de musique militaire, gratuite et ouverte à toutes et tous.

Mais en étudiant la diversité des programmations de plusieurs types de kiosques à musique, allant de ceux que l’on rencontre dans des petits jardins urbains de province (Toulon, Nice) jusqu’aux plus mondains, installés dans les grands parcs parisiens (Jardin du Luxembourg, Champs-Élysées), Patrick PÉRONNET montre que différents types de concerts en plein air se dessinent rapidement dans le siècle, lesquels redistribuent les publics en fonction de leur classe sociale.

À travers l’étude d’un vaste corpus de textes littéraires, de souvenirs et de témoignages de l’époque et en s’appuyant également sur un large corpus pictural, il rend compte d’expériences diverses d’écoute de musique en plein air et recense plusieurs types de concerts, de l’élitiste Concert Musard sur les Champs-Élysées au plus populaire concert du dimanche après-midi dans le Jardin des Tuileries, celui-là même que Manet représenta sur son célèbre tableau La Musique aux Tuileries.

Aux antipodes de l’écoute mondaine, telle qu’Albert Guillaume s’amusa souvent à la représenter, l’œuvre de Manet nous entraîne au cœur de l’univers musical de ces auditeurs et auditrices installé.e.s sous les frais ombrages des arbres du célèbre jardin et goûtant, parmi conversations légères, badinages et rafraîchissements, une musique qui s’offre librement à leurs oreilles.

— Amandine LEBARBIER

Résumé

La musique de plein air est celle que l’on n’écoute pas, une forme littérale du malentendu. On l’entend à l’occasion, “occasion qu’on ne recherchait pas d’ailleurs”⁽︎¹︎⁾︎ écrivait le musicologue Georges KASTNER (1810-1867), grand connaisseur des musiques militaires. L’auditeur est un promeneur, son écoute est distraite mais il offre l’occasion de dresser des physionomies à croquer par le peintre ou l’auteur.

Dans la représentation visuelle du concert de plein air, l’orchestre disparaît et n’est symbolisé que par un vague kiosque, un arrière-fond que l’on remarque à peine, un œil tout aussi distrait que l’oreille du dilettante. Le mépris affiché par une part de l’élite, vis-à-vis de ces cuivres bruyants, correspond à son opinion préétablie de classe dominante.

Il faut être riche pour pouvoir se promener en semaine dans ce XIXe siècle, plus riche encore pour échapper à la ville et gagner sa villégiatura. Le plein air du dimanche est trop populaire, il y a trop de mixité sociale et la gratuité du concert militaire impose la promiscuité. Le bourgeois simple préfère réserver ses espaces et investir les Champs Élysées le soir, pour entendre sous le kiosque, Musard et son orchestre, même si ce n’est pas vraiment la “musique pour tous”.

C’est une musique de classe, instillant la ségrégation sociale en laissant “derrière la barrière” le peuple en quête de distraction. À peine lui laisse-t-on le droit, le dimanche, de profiter des miettes de cette déferlante de musique et d’art. Mais au su de ses comportements, cette masse populaire ne donne pas l’impression de s’intéresser vraiment à l’art musical bourgeois dont il ne maîtrise pas les codes si éloignés de son univers quotidien.

Comme l’écrit la Revue et Gazette Musicale de Paris du 5 juin 1859, elle s’y délasse et s’y distrait. Sans doute cela annonce-t-il ce que la philosophe Hannah Arendt (1906-1975) entend démontrer pour le XXe siècle : “La société de masse ne veut pas la culture mais les loisirs”⁽︎²︎⁾︎.

Les puristes de tous temps ont méprisé la musique de plein air ou “de kiosque”, une sous-musique pour une sous-culture, un sous-public, un sous-peuple⁽︎³︎⁾︎. La musicologie s’est interrogée longtemps sur musique savante et musique populaire, musique d’élite et musique folklorique, musique sérieuse et musique légère. La sociologie et l’ethnologie se veulent aujourd’hui plus intégrantes, réhabilitant tous les publics, refusant des catégorisations entre art majeur et art mineur et il est sans doute temps de réhabiliter celle que dédaignaient Paul de Saint-Victor et consorts.

Si la musique de plein air est un des éléments les plus remarquables d’une démocratisation de la musique au XIXe siècle, tout comme le sont les pratiques orphéoniques, le développement de la facture instrumentale et la multiplication des lieux de diffusion, un éternel dilemme se pose : l’éducation à la musique ou, mieux encore, à son écoute.

Rien n’a vraiment évolué depuis 1751, lorsque d’Alembert écrivait dans le Discours préliminaire à l’Encyclopédie “Après avoir fait un art d’apprendre la musique, on devrait bien en faire un de l’écouter”⁽︎⁴︎⁾︎. Les choses ont-elles vraiment changé aujourd’hui ?

⁽︎¹︎⁾︎ Propos de Georges Kastner cités par Adolphe de Pontécoulant, Organologie, essai sur la facture instrumentale art et industrie, Paris, Castel, 1861, tome 2, p. 249.

⁽︎²︎⁾︎ Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard, coll. « Folio », Paris, 1972, p. 261.

⁽︎³︎⁾︎ Lire à ce sujet Sophie-Anne Leterrier, « Musique populaire et musique savante au XIXe siècle, du « peuple » au « public », Revue d’histoire du XIXe siècle, société d’histoire de la Révolution de 1848 et des révolutions du XIXe s., n° 19, 1999, Aspects de la production culturelle au XIXe siècle, p. 89-103.

⁽︎⁴︎⁾︎ Jean d’Alembert, Discours préliminaire de l’Encyclopédie, introduit et annoté par Michel Malherbe.
Paris, Vrin, 2000, 209 p.