
Pierre Dupont : Un enfant de Saint-Omer à la Garde républicaine – Thomas Delvaux
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DELVAUX Thomas. Pierre Dupont : un enfant de Saint-Omer à la Garde républicaine.
Arras, Éditions de la Morinie, 2021, 225 p.
Éditions : Éditions de la Morinie
Date de publication : 2021
Nombre de pages : 225 p.
Présentation
Nous sommes heureux de présenter une biographie consacrée à un « homme d’harmonie ». Le fait est assez rare[1] pour être signalé. Des publications précédentes ont pu retracer en grande partie le parcours de Pierre Dupont (1888-1969) à la tête de la Musique de la Garde Républicaine[2] mais le travail de Thomas Delvaux en est un complément indispensable.
Son plan est chronologique, ce qui en soit est une constante pour une biographie. Il se décompose en quatre périodes : les « jeunes années » intégrant la jeunesse, le milieu social à Saint-Omer et l’engagement comme musicien-militaire de 1888 à 1918, les « années folles » à la tête de la Musique de la Garde de 1927 à 1940, les « années sombres » à Vichy de 1940 à 1944, et « l’après garde » de 1945 à 1969. Nous ne sommes pas surpris de voir Thomas Delvaux s’emparer longuement de la période 1940-1944, et, comme tout biographe, il lui est bien difficile d’accepter l’idée que Pierre Dupont fut « remercié » en 1944, sans être reconnu coupable de quoi que ce soit. Cette question de la « fin de carrière » de Dupont, nous nous l’étions posée il y a quelques années à l’occasion d’une intervention que nous nommions « Lux et ombra, La Musique de la Garde Républicaine, des années de crise à l’effondrement (1927-1945)[3] ». Voici ce que nous écrivions à l’époque.
« Si la nation française avait trouvé son « instrument musical » sous la Troisième République, c’était avec la Musique de la Garde Républicaine. Musique officielle attachée au protocole et à l’État, missionnée pour être l’ambassadrice musicale de la France des temps de paix et de guerre, elle incarne par son prestige et ses répertoires la nation et sa longue tradition militaire. Ses chefs historiques : Paulus, Sellenick, Wettge, Parès ou Balay ont hissé la formation musicale à un degré de prestige jamais atteint. Pierre Dupont (1888-1969), nommé chef de la Musique de la Garde Républicaine en 1927, musicien militaire et ancien combattant de la Première Guerre mondiale, en fait l’un des éléments les plus renommés du rayonnement artistique universel français. Mais les événements européens des années 1930 conduisent inexorablement la Musique de la Garde de la lumière à l’ombre. Homme de devoir et responsable des musiciens qui sont à sa charge, le Commandant Dupont se trouve dans une situation difficile lorsque la Débâcle de 1940 l’oblige à suivre l’État sur les routes de l’exode et dans ses transformations structurelles. Ballotté par les événements, il est appelé à continuer ses services à la tête de la plus célèbre institution musicale protocolaire au statut des plus incertain. La Musique de la Garde Républicaine se transforme lentement mais inexorablement en Musique de la Garde puis en août 1942 en Musique de la Garde personnelle du chef de l’État[4].
Les manifestations associant cette Musique et son chef au Régime de Vichy ne manqueront pas. La ritualisation de la revue dominicale du salut aux couleurs en présence du Maréchal, la diffusion, à la radio, de plus de 200 concerts, l’interprétation d’hymnes pétainistes, le port d’une francisque ostentatoire et la promotion de Pierre Dupont au grade de lieutenant-colonel ne peuvent que ternir l’image de la formation et de son chef. Patriote et ancien combattant, auteur de la sonnerie Aux morts et arrangeur officiel de La Marseillaise, Pierre Dupont se trouve alors dans le dilemme du devoir du militaire, protecteur pour « ses » musiciens de la Garde, accommodant une trajectoire de musicien universaliste dans un choix surveillé par les autorités vichystes en ce qui concerne les œuvres programmées. Au-delà de ces accommodements, une image trop « nationaliste » lui a assuré un purgatoire dont il n’est pas complètement sorti aujourd’hui encore. Le retour de la Musique à Paris, en 1944, sera rapidement accompagné d’un désaveu par le Gouvernement Provisoire de la République Française et par la mise à la retraite de Pierre Dupont tout en épargnant la structure de la Musique de la Garde Républicaine et ses musiciens.
À la lumière des travaux musicologiques portant sur la période de l’occupation[5] et sur le régime de Vichy[6] , nul ne s’est intéressé au sort des musiques militaires dans ces temps où Nation rimait avec Occupation. La lecture des programmes de l’époque publiés par les journaux donnent une idée de ce que purent être les « résonances de l’ombre[7] » dans ces années de plomb. Les rares archives officielles, très épurées à la Libération, doublées d’archives privées, permettent une vision éclairante de ces années d’ombre avant que l’épuration des années 1944-1945 ne veuille trancher entre ambiguïtés, hésitations ou contraintes.
Patrick Péronnet, 24 avril 2016 ».
Nous ne retirons pas un mot de ce résumé de notre intervention, sinon pour remarquer qu’aucune formation musicale en tenue ne fut contestée à la Libération, pas même la Musique de la Police nationale née dans des conditions extrêmes, ni aucun chef de musique en poste (Jules Semler-Collery, Robert Clérisse, Roger Fayeulle ou Félix Coulibeuf entre autres). Certains corps purent même se couvrirent de gloire en entrant dans la Résistance entre 1942 et 1944 telle la Musique des gardiens de la paix. Nous espérons pouvoir traiter un jour l’évolution de ces formations sous forme d’histoires parallèles.
En attendant, la lecture de l’ouvrage de Thomas Delvaux est instructive, même si, en tant que musicologue, nous regrettons que l’on y parle peu de musique.
Patrick Péronnet – 22 février 2024
[1] À notre connaissance, en France, seul Désiré Dondeyne a bénéficié pour l’heure d’un travail biographique pour lequel la fonction de compositeur l’emporte souvent sur celle de chef de la Musique des gardiens de la paix de Paris. Francis PIETERS, Désiré Dondeyne Pionnier de la Musique pour orchestre d’harmonie en France au XXe siècle, Vienne (Autriche) éditions Johann Kliment, collection Biographies IGEB, 2008, 252 p.
[2] Lire l’excellente contribution de Sylvie Hue, dans 150 ans de Musique à la Garde Républicaine, Mémoires d’un Orchestre, Paris, Nouvelle Arche de Noé Editions, 1998 et notamment les p. 121-153
[3] Colloque Musique et nation, 1918-1945 : Europe-Amériques (II). Musique, nationalisme et transnationalisme : diplomatie, politique, esthétique, Royal Northern College of Music, Manchester (Royaume-Uni) 23-24 novembre 2016.
[4] Xavier AIOLFI, La Garde personnelle du chef de l’État, 1940-1944, Paris, Gazette des Uniformes/Nouvelles, Éditions Latines, 2015.
Bernard HUET, Capitaine de la Garde, Vichy 1941/42 – Témoignage, ID France-Loire, 2012.
[5] La musique à Paris sous l’Occupation, ouv. coll. ss. la dir. de Myriam Chimènes et Yannick Simon, Paris, Fayard/Cité de la musique, 2013. Sara IGLESIAS, Musicologie et Occupation, science, musique et politique dans la France des « années noires », Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2014.
[6] La Vie musicale à Vichy, ouv. coll. ss. la dir. de Myriam Chimènes, Paris, Éditions Complexe/IHTP-CNRS, 2001. Karine LE BAIL, La musique au pas, être musicien sous l’occupation, Paris, CNRS Editions, 2016.
[7] Philippe GUMPLOWICZ, Les résonnances de l’ombre, Musique et identités : de Wagner au jazz, Paris, Fayard, 2012.
Résumé
Pierre Dupont est un oublié de l’Histoire audomaroise[1]: sa venue à Saint-Omer, sa ville natale, comme Chef de Musique de la Garde Républicaine a provoqué un triomphe en 1931… mais le temps a fait son œuvre et cette gloire locale a rejoint les rangs – trop nombreux – des célébrités passées, démodées, oubliées … Et pourtant, qui n’est pas fier du retentissement international de la Garde républicaine ? Qui n’a jamais entendu la Sonnerie aux Morts ? C’est pourtant bien à ce personnage désormais négligé que l’on doit ces pages importantes. En effet, il y a 75 ans : sous l’Arc de Triomphe, le soir du 14 juillet, Pierre Dupont joue pour la première fois, à l’occasion du ravivage de la Flamme du Souvenir, cette sonnerie qu’il venait de composer.
Pierre Dupont est né le 03 mai 1888 à Saint-Omer au 47, rue de Wissocq ; jeune flûtiste prometteur, il fait sa première formation à l’École Nationale de sa ville natale dans la classe de Henri Filleul avant de partir pour le Conservatoire de Paris en 1905. Choisissant la carrière militaire, il devient soliste dans la Musique d’artillerie de Versailles (1907) : c’est le début d’un crescendo qui a son aboutissement en 1927 où Pierre Dupont devient Chef de la Musique de la Garde Républicaine.
Premier chef de la Musique à obtenir le grade de chef d’escadron (commandant) le 25 mars 1931, Pierre Dupont est novateur sur de multiples autres plans. Ainsi, cette même année, la Musique de la Garde accueille Maurice Ravel lors d’un concert : celui-ci dirige lui-même son Boléro célébrant en même temps la notoriété de cette formation musicale. Pierre Dupont a développé cette politique d’ouverture du répertoire en direction de nombreux compositeurs contemporains : Rimski-Korsakov, Delibes, Debussy, … (pour ne citer que les plus connus) autant de grands noms qui sortirent les programmes musicaux du registre purement militaire.
Mais beaucoup de ces œuvres ne sont pas composées pour un orchestre d’harmonie tel que celui dont dispose la Garde : Pierre Dupont écrivit donc d’innombrables transcriptions afin de pouvoir jouer ces morceaux.
Le public tient une place essentielle pour cet Audomarois : qualité et disponibilité sont les principales vertus auxquelles il s’est attaché. En 1929, la TSF diffuse, en direct, le premier concert de la Musique de la Garde. Parallèlement, de multiples enregistrements phonographiques sont réalisés dont plusieurs obtiennent Le Grand Prix du Disque. L’orchestre sort également pour se mettre au contact du public lors de très nombreux concerts et tournées tant en France que dans le monde : le 28 juin 1936 à Valenciennes, 8 000 personnes viennent y assister. Les festivals de musique militaire prennent de l’ampleur tant en France qu’en Belgique ou en Angleterre, tout particulièrement à l’issue de l’inauguration du beffroi de Lille (15 octobre 1932). La Musique de la Garde s’expatrie à l’étranger, ambassadrice d’un corps d’élite et de la France, exprimant son savoir-faire dans des pays aussi différent que l’Algérie ou le Danemark. Sa valeur est reconnue dans le monde entier ; Wilhelm Furtwängler, chef d’orchestre allemand, n’hésitant pas à affirmer : « Ce sont les meilleurs instrumentistes du monde ».
[1] L’Audomarois est une « région naturelle » autrefois principalement maraîchère, située dans le département du Pas-de-Calais. Comme son nom le rappelle, il est centré autour de la ville de Saint-Omer et du marais Audomarois.
L’auteur
Thomas Delvaux est né en 1977 à Saint-Omer (Pas-de-Calais). Artésien[1], il s’intéresse à l’histoire de sa région depuis l’enfance. Membre de la Société Académique des Antiquaires de la Morinie depuis 2002, membre titulaire depuis 2009, il participe à la vie de cette société savante par la mise en place d’inventaires de fonds d’archives et de conférences.
Étudiant à l’université d’Artois puis, doctorant ès Histoire, civilisation et histoire de l’Art des mondes modernes et contemporains, il a publié de nombreux articles au profit de plusieurs journaux et revues sur des thèmes aussi riches et divers que l’Audomarois, la généalogie, la noblesse ou l’héraldique. Sa spécialisation dans la noblesse d’Ancien Régime et des provinces septentrionales l’amène depuis quelques années à intervenir dans divers colloques internationaux. Héraldiste, il a recréé les armes de Curvalle (Tarn) à partir de l’histoire de ce village en 2005.
Thomas Delvaux est capitaine de gendarmerie.
[1] Originaire de l’ancienne province de l’Artois.