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Ida GOTKOVSKY – 3

Ida GOTKOVSKY – 3

Ida Gotkovsky, la Dame des vents

Le 21 octobre 2023, l’AFEEV organisait en partenariat avec le CRR de Paris une journée d’étude consacrée à l’œuvre pour vents d’Ida Gotkovsky en son hommage et à l’occasion de son 90e anniversaire. A la suite de cet évènement, nous publions son portrait en quatre parties afin de vous permettre de (re)découvrir la Dame des vents ainsi que ses œuvres.

3) Le temps de l’émancipation entre travail et inspiration

Ida Gotkovsky n’est pas la première femme à suivre la voie de la composition. Augusta Holmès, Louise Farrenc, Mel Bonis, Germaine Tailleferre, Lili Boulanger, Elsa Barraine, Yvonne Desportes, Claude Arrieu ou Betsy Jollas ont ouvert la voie. Mais les jeunes femmes des années 1950 sont engagée dans une lutte d’émancipation. Ida en est un bon exemple. Il est d’abord question d’une vie de femme.

   « Une rue du Perray comme les autres, une maison ancienne parmi tant d’autres : la porte s’ouvre sur une jeune femme mince et sympathique dont la physionomie laisse percevoir une personnalité peu commune derrière un visage ouvert et souriant : je suis chez Mme Ida Gotkovsky. Vous connaissez peut-être son nom, vous l’avez vue faire ses courses à bicyclette sans savoir que la veille elle donnait un concert à Anvers, ou que le lendemain, elle enregistrait un disque. En effet, Ida Gotkovsky est une des rares femmes « compositeurs » et elle possède un catalogue d’œuvres très important […] ».
Clé de sol et clé des champs, par Nicole Bennezon (article complet reproduit en fin de page)

Il est bien question ici de la banalité d’une vie quotidienne. Comme le rapporte Nicole Bennezon « […] un soir elle assiste à un concert d’orgue et y rencontre un jeune homme passionné de musique et de peinture qu’elle épouse ». Il s’agit de Marc Tim Jean Guillou (1929-1996). Le couple aura un garçon, Étienne Guillou-Gotkovsky. La maison du Perray, où le couple s’installe en 1964 après quelques années passées à Paris, devient le lieu dans lequel Ida compose une foule d’œuvres diverses.

Plus encore que la maison, le bureau d’Ida devient à la fois son havre, son atelier et son refuge. La notion de « travail » est un leitmotiv la bouche d’Ida. Et le travail est exigent. Il est l’effort du quotidien. Cette valeur que ses parents lui ont transmise et que ses professeurs n’ont fait que décupler. Ce poids du travail est assez typique de cette génération née dans l’entre-deux-guerres et ayant grandi avec les privations de l’occupation. Toute sa vie Ida s’astreindra à ces heures passées à travailler sa musique.

   « J’ai toujours beaucoup travaillé et je consacre toujours douze heures par jour à la composition. Je crois que lorsque l’on construit une œuvre, il est nécessaire de trouver un grand équilibre. Dans l’absolu, c’est difficile à réaliser, mais il faut tenter de s’en approcher. »

L’œuvre d’Ida Gotkovsky se distingue par sa force créatrice. Dans son concept de composition, elle annonce un credo : “Créer une œuvre universelle avec un langage contemporain, des structures vigoureuses, l’unité de l’expression musicale à tout moment”. Dans son travail s’opère une lutte entre le silence et le son intérieur qui doit jaillir tel une source.

   « Tout est toujours à conquérir, pour moi la vie est un combat où rien n’est jamais acquis. […] la feuille de papier, le crayon et la gomme. Cette rencontre quotidienne est redoutable. C’est l’écoute intérieure que l’on ne veut pas trahir. Par la suite, il serait impensable de dire aux musiciens de développer telle phrase ou telle autre. Composer demande une grande exigence. Pour ma part j’ai besoin de réfléchir, de penser et de construire dans le silence. […] Je pense que l’on forge soi-même son inspiration avec beaucoup de travail, de réflexion, de connaissances et surtout il est indispensable de garder l’esprit de découverte. La pensée se travaille mais il faut veiller à garder sa spontanéité et préserver l’élan de l’œuvre ».

Le lieu de composition a une grande importance pour Ida. Le piano à portée de main,  bureau est placé devant une grande baie vitrée ouverte sur le jardin, les arbres et la nature. Cette même nature que ses parents, Jacques et Jeanne ont intégré à leur mode de vie devenu modèle éducatif et qui appartient à l’âme russe avec son sens aigu de la terre et des blés nourriciers.

   « Je me demandais ce qu’il pouvait y avoir derrière un coucher de soleil et surtout comment on pouvait l’exprimer. C’était une torture pour moi de ne pouvoir l’exprimer. Ce fut le prétexte pour créer. […] lorsque l’on compose, il faut s’identifier à la nature, à la création. L’art c’est ça. C’est retrouver les racines profondes de la nature, du mystère, je dirais même du mysticisme. J’ai toujours éprouvé cela même très jeune ».

La cheffe d’orchestre Silvia Olivero Anarte donne sa vision du travail compositionnel d’Ida.

   « Face à son travail, j’ai découvert une immense énergie qui vous saisit rapidement, vous entoure de ses textures et vous remue par son rythme. L’utilisation des timbres implique à la fois un contrôle magistral des couleurs individuelles et la multiplicité née des différentes combinaisons de timbres. Cette dernière est capable de submerger tantôt avec une densité homogène qui avance avec une force imparable, tantôt entrelacée dans une polyphonie en parfait équilibre. »

En cela, sans doute, Ida se démarque de ses pairs et amis compositeurs de l’école française pour ensemble d’instruments à vent. S’il y a complexité et haut degré de maîtrise de la matière sonore, Désiré Dondeyne et Serge Lancen restent proches du Groupe des Six et s’en font les héritiers naturels. Ida montre dans sa musique une autre voie sans doute plus proche de celle de Roger Boutry. Sa première œuvre pour orchestre d’harmonie, sa Symphonie pour 80 instruments à vent explore cette veine.

   « Ma symphonie suit des voies classiques, peut-être dans la lignée de Prokofieff et de Béla Bartók. C’est une musique de tempérament. Je l’ai écrite pour le maestro Dondeyne, pour donner aux orchestres d’harmonie une composition avec un idiome moderne ».

La musique d’Ida Gotkovsky est toujours étonnante par le goût exprimé par la compositrice pour les contrastes forts et le recours à des phrases énergiques en denses. Chez Ida, la nature inspire de nombreuses œuvres : la Symphonie de printemps, le Songe d’une nuit d’hiver, le Chant de la Forêt, Éolienne pour flûte et harpe ou les Images de Norvège pour clarinette et piano. En rien il ne s’agit de musique descriptive, mais plus d’une évocation voire une invocation et Ida s’inscrit en cela dans une longue lignée de musiciens contemplatifs.

« Si la nature ne cesse de constituer une formidable source d’inspiration, c’est […] de façon bien différente suivant les périodes. […] Une constante apparaît par-delà cette diversité : la nature est souvent invoquée pour ressourcer la musique, rénover son écriture et régénérer son écoute [ …] Ainsi le « retour à la nature » relève-t-il toujours du fantasme culturel : il est avant tout une utopie très féconde ».

Le mysticisme dont Ida Gotkovsky ne cache pas l’importance dans sa force créatrice se dévoile par des titres évocateurs dès la fin des années 1970. Le Poème du feu pourrait faire référence à la fois à la Danses rituelle du feu de l’Amour sorcier de Manuel de Falla, à la Danse sacrale du Sacre du printemps et à l’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky. Les Danses rituelles (1988) relèvent du même référentiel auquel il faudrait ajouter les autres Danses rituelles d’André Jolivet. Or et lumière (1992) qui joue sur les contrastes (deux parties de musique de chambre alternant avec deux parties de grand orchestre) est peut-être une version musicale d’œuvres picturales d’un Gustave Klimt ou de son frère Yvar Gotkovsky.

Ida Gotkovsky fait partie de ces artistes à la forte vie intérieure, telle que son ami Bernard Dupaquier sut l’exprimer « un sens élevé de la spiritualité mis au service de l’art avec un immense talent et une foi artistique en parfaite harmonie avec un humanisme profond ». Sans doute a-t-elle pu cultiver dans sa prime jeunesse une tendance variant du spiritisme au spiritualisme diffusée par le modèle paternel.

Enfin, et s’il fallait conclure, l’œuvre d’Ida Gotkovsky revêt une particularité. Si elle est pour nous la Dame des vents, c’est que son intérêt artistique fut aimanté par les instruments à vent. C’est Désiré Dondeyne (1921-2015), un collègue du Conservatoire, qui attira l’attention d’Ida pour cet ensemble alors méconnu qu’était l’orchestre d’harmonie. Vitrifié dans ses fonctions utilitaires-militaires et très souvent incarné par l’amateurisme de ses membres, chefs compris, l’orchestre d’harmonie connaît, avec Dondeyne, un épanouissement qu’il n’avait pas. Tout en respectant le goût pour des transcriptions de qualité, Dondeyne fait émerger un nouveau répertoire. Conscient de l’immensité de la tâche, il sollicite ses contacts, amis et pairs pour offrir à cet ensemble un répertoire original lui donnant dignité et espoir. La Symphonie pour 80 instruments à vent (ou « pour 160 poumons » comme la désigne Ida) doit beaucoup à Dondeyne, à commencer par les conseils d’écriture. « Il m’a permis de découvrir cet orchestre d’harmonie et ses associations de timbres remarquables ».

   « J’entends souvent dire que l’orchestre d’harmonie doit être brillant, oui mais il faut respecter la couleur, la justesse, la respiration, et travailler le son et les équilibres. J’ai appelé l’une de mes premières symphonies la Symphonie des 160 poumons car tout vient de là. Je reste en admiration devant les orchestre d’harmonie, c’est sublime et magnifique. Désiré Dondeyne a travaillé énormément le son et il a fait des trouvailles pour l’orchestre d’harmonie et Roger Boutry aussi ».

A l’occasion d’une tournée en Espagne et à l’issue du concert donné par la Banda Primitiva de Lliria le 15 mars 1968, de gauche à droite: Mme Mas Quiles, Désiré Dondeyne, Ida Gotkovsky et le chef et compositeur espagnol Juan Mas Quiles (1921-2021).

Cette « révélation » pour l’orchestre d’harmonie sera suivie d’une curiosité pour tous les instruments à vent. Spécialiste du Concerto (elle est auteur de l’article « Concerto » dans l’Encyclopédie Universalis), Ida est surtout attirée par le saxophone. Elle lui offrira de belles pages allant jusqu’à consacrer sa Golden Symphonie au seul pupitre de saxophone.

« Les instruments sont des sources fécondes d’inspiration et enrichissent admirablement le répertoire ».

Les amis du Conservatoire réunis en 2012 pour la création de Jeanne d’Arc, oratorio en 6 tableaux, commande de l’Orchestre d’Harmonie de la Région Centre. De gauche à droite: Jacques Castérède, Désiré Dondeyne, Philippe Ferro, Ida Gotkovsky, Roger Boutry et Michel Merlet.